Des partisans du gouvernement érythréens manifestent à Genève, le 21 juin. | Salvatore Di Nolfi / AP

Menacé d’une reprise de la guerre avec le voisin et ennemi éthiopien après les récents affrontements meurtriers à la frontière, accusé de « crimes contre l’humanité » par une commission d’enquête des Nations unies : le régime érythréen n’a pas beaucoup d’amis sur la scène internationale, mais sait encore mobiliser ses soutiens. A Genève, mardi 21 juin, des milliers de membres de la diaspora érythréenne ont déferlé devant le siège local des Nations unies avant que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU n’aborde dans l’après-midi la situation dans ce pays de la Corne de l’Afrique.

Arrivés par bus d’Italie, d’Allemagne, de Suède ou du Royaume-Uni, les partisans du pouvoir en place à Asmara reprennent au mot près la rhétorique développée par le gouvernement. Celle d’une jeune nation jalouse de son indépendance acquise il y a vingt-cinq ans, toujours victime d’un complot américano-éthiopien.

« Nous sommes un mauvais exemple pour l’Occident car nous avons décidé d’être autonomes. Nous ne voulons pas d’ONG qui nous lient les mains et nous transforment en mendiants. Nous n’avons pas offert nos mines aux entreprises occidentales et nous ne permettons à personne de s’emparer de nos richesses. Nous savons que cette commission d’enquête a été formée par les Etats-Unis pour préparer un changement de régime comme en Libye et en Irak mais nous résisterons », promet le professeur Bereket Fessehatzion, tout juste débarqué de Londres.

Les affiches déployées sur la place des Nations, à Genève, portent des messages sans ambiguïté. « Nous ne nous agenouillerons jamais », affirme l’une d’elle, « Arrêtez d’utiliser les droits de l’homme pour déstabiliser l’Erythrée ! », peut-on lire sur une autre.

Flanqué de quelques camarades portant le portrait du président Issayas Afewerki autour du cou, Goetom Asrat se dit également persuadé qu’une conspiration est en cours pour venir à bout de « la résistance érythréenne ». Mais alors, comment expliquer les centaines de témoignages recueillis par cette commission d’enquête, faisant état de violations « systématiques et massives » des droits de l’homme ? « Ce sont des témoignages d’Ethiopiens, de Soudanais, de Somaliens qui se font passer pour des Erythréens car cela leur donne une bonne opportunité d’obtenir l’asile en six mois. Tout ce qui brille n’est pas de l’or », dit-il avant de lâcher : « Nous, nous sommes les vrais Erythréens, des patriotes. »

Chine, Pakistan, Cuba et Venezuela en renfort

Les cris de colère contre « le rapport biaisé de la commission d’enquête de l’ONU », « les Nations unies qui devraient avoir honte », « l’impérialisme éthiopien soutenu par les Etats-Unis » ou « les médias menteurs » n’atteindront pas la salle de conférence du Conseil des droits de l’homme, située à quelques centaines de mètres en amont du lieu de la manifestation. Là, une autre partie s’est jouée, plus feutrée en apparence mais révélatrice des positions vis-à-vis de l’Erythrée en particulier, et des investigations ou des procédures menées au nom de la communauté internationale en général.

Après que Mike Smith, le président de la commission d’enquête qui a publié, le 8 juin, un rapport accablant pour Asmara, est venu réitérer ses recommandations de porter le dossier devant le Conseil de sécurité des Nations unies en vue d’une saisine de la Cour pénale internationale, les représentants de l’Erythrée ont pu constater qu’ils ne sont pas seuls au monde.

A l’unisson, le Soudan, l’un de ses alliés traditionnels, mais aussi la Chine, le Pakistan, Cuba, le Venezuela et le Nicaragua ont dénoncé « la politisation des droits de l’homme », le manque de preuves contenues dans le rapport des enquêteurs qui ne se sont pas rendus en Erythrée – faute d’autorisation du pouvoir – et des interférences dans la souveraineté des nations.

A l’opposé, les Etats-Unis, la Somalie, Djibouti – deux pays en conflit avec Asmara – et l’Ethiopie « qui prépare une grande offensive militaire », selon Yemane Ghebreab, l’un des conseillers du président érythréen présents à Genève, se sont montrés les plus ardents défenseurs du travail des trois enquêteurs onusiens.

L’Union européenne et ses Etats membres, eux, ont adopté une position médiane. Tout en se disant préoccupés par l’ampleur des violations des droits de l’homme dénoncées dans le rapport d’enquête, ils ont appelé à un dialogue et à une coopération accrue avec le pouvoir érythréen pour lui permettre d’effectuer des réformes maintes fois promises mais jamais appliquées. La crise migratoire et la volonté des Etats européens d’empêcher des milliers de demandeurs d’asile d’échouer sur les côtes du Vieux Continent sont peut-être passées par là.