La sécheresse touche également la région de Sacramento, en Californie, comme le montre cette photo du 17 septembre 2015. | MARK RALSTON/AFP

Le plus jeune a 9 ans, le plus âgé, 19. Vingt et un jeunes Américains se sont lancés dans une initiative sans précédent : un procès contre le président Barack Obama et son gouvernement, pour manquement à leur devoir de les protéger du changement climatique. « On ne peut pas juste dépendre des adultes pour s’occuper de tout », explique Avery McRae, 11 ans, une collégienne d’Eugene, la ville de l’Oregon dont sont originaires la plupart des plaignants.

La plainte a été déposée en août 2015. Les jeunes y affirment que leur droit constitutionnel à « la vie, la liberté et la propriété » est bafoué par la lenteur du gouvernement à limiter la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Ils se disent victimes de discrimination, au profit des « intérêts économiques » d’un « autre groupe de citoyens » (l’industrie pétrolière).

Ils invoquent enfin la doctrine dite de « public trust », selon laquelle le gouvernement est garant des ressources naturelles qui forment le bien commun de tous les Américains. Jusque-là, ce concept hérité du droit anglais avait surtout servi aux plaintes contre la privatisation d’espaces publics comme le littoral. Grâce aux travaux de la professeure de droit de l’université d’Oregon Mary Wood, la notion de « public trust » est en train d’être élargie à l’atmosphère.

Une première

Le 8 avril, le juge Thomas Coffin, du district fédéral de l’Oregon, a déclaré leur plainte recevable, ouvrant la voie à un procès, si sa décision est confirmée. « C’est la première décision de ce genre aux Etats-Unis », souligne Julia Olson, la directrice de l’association Our Children’s Trust, qui organise la défense légale des « 21 ».

Le magistrat a rejeté l’argument du gouvernement, qui plaidait que la question est du ressort du Congrès. Il a récusé les protestations des représentants de l’industrie du charbon et des hydrocarbures qui s’étaient joints à la procédure en janvier. Et il a considéré que les jeunes étaient en droit de se pourvoir en justice : ils risquent d’être plus affectés par le changement climatique que « les segments les plus âgés de la société ».

Pour Tia Hatton, 19 ans, une grande rousse dynamique qui étudie à l’université de l’Oregon, à Eugene, et fait partie du groupe des 21, c’est une grande victoire, même si ce n’est qu’un début. « Les jeunes vont subir l’impact du changement climatique de manière disproportionnée », justifie-t-elle.

Pour leur action en justice, ils ont dû montrer en quoi ils étaient directement affectés. L’étudiante est une championne de ski de fond. « Depuis deux ans, il y a de moins en moins de neige. On a dû annuler des courses. » Alex Loznak, 19 ans, a grandi dans une ferme de l’Oregon rural, où sa famille est installée depuis 1868. « A l’été 2015, la sécheresse a tué nos noisetiers », raconte-t-il. Il est outré par le projet de construction d’un terminal d’exportation de gaz naturel liquéfié à Coos Bay, sur la côte de l’Oregon. L’oléoduc passerait à moins de cinquante kilomètres de la ferme familiale. « Ce serait le plus grand émetteur de dioxyde de carbone de tout l’Etat », affirme-t-il.

« Corruption »

La petite Avery, elle, est déjà une militante aguerrie. Elle n’avait pas 9 ans quand elle a collecté 300 dollars (267,50 euros) pour sauver les saumons affectés par le réchauffement des rivières. A la justice, elle a expliqué que les cours d’eau où elle aimait se tremper sont envahis par les algues :

« Cela devient dégoûtant de se baigner. »

Le célèbre climatologue James Hansen, dont la petite-fille Sophie fait partie des vingt et un, s’est joint à la plainte fédérale en tant que « garant des générations futures ». « Les gouvernements connaissaient les conséquences de la pollution au dioxyde de carbone depuis les années 1970 et ils n’ont rien fait », proteste Tia Hatton. Dès les années 1990-1991, quand les premiers plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été adoptés, le seuil de concentration de CO2 dans l’atmosphère était connu (350 parties par million -ppm-). « Aujourd’hui, on a dépassé les 400 ppm, souligne Tia. Cela montre le degré de corruption du gouvernement fédéral. »

Outre la plainte fédérale, l’association Our Children’s Trust facilite plusieurs autres procédures au niveau des Etats (Colorado, Caroline du Nord, Massachusetts, Washington). Elle emploie maintenant quatre juristes à plein temps. Le 29 avril, elle a eu l’immense satisfaction d’entendre la juge Hollis Hill, de la cour supérieure de Seattle (Etat de Washington), évoquer « le droit inaliénable à une atmosphère agréable » et ordonner aux autorités de promulguer de nouveaux objectifs de réduction des émissions avant la fin 2016. Et le 17 mai, dans le Massachusetts, la Cour suprême a aussi donné raison à quatre adolescents qui réclamaient une réglementation plus stricte des émissions. « C’est une tendance globale. Il y a une reconnaissance croissante des droits des jeunes à demander des actions de la part des gouvernements », se félicite Julia Olson. « Il ne s’agit pas seulement de ma capacité à faire du ski de fond, insiste Tia Hatton. Je m’inquiète pour tous les humains. »