« L’opinion pense que le Royaume-Uni n’a pas besoin de l’Europe pour survivre, d’autant que son entrée dans la Communauté économique européenne en 1973 coïncidé avec la crise économique », selon l’historienne Pauline Schnapper (Photo: La brasserie The Grainstore Brewery, à Oakham, Rutland). | Martin Parr / Magnum Photos

Le 23 juin, les Britanniques se prononceront sur leur maintien au sein de l’Union européenne. Que serait le Royaume-Uni sans l’Europe ? Avant le référendum, des artistes et des intellectuels apportent leurs réponses, du cinéaste Ken Loach à l’écrivain Will Self, en passant par l’économiste Jean-Marc Daniel ou l’historien Robert Tombs, illustrées par les photos de Martin Parr.

En faveur du « Yes », l’économiste Paul Seabright, qui vit en France, et collaborateur du Monde de longue date, n’est pas étonné que son pays d’origine envisage de quitter l’Union européenne car, « depuis le début, la Grande-Bretagne n’a jamais arrêté de faire les yeux doux outre-Atlantique ». Il rappelle cependant qu’« aucune étude sérieuse ne donne raison économiquement aux partisans de la sortie ».

Jean-Marc Daniel s’interroge sur l’aveuglement britannique : les Anglais « ont-ils conscience que le Royaume-Uni vit désormais au rythme de l’Europe ? »

Le romancier Will Self avoue que son choix n’a pas été facile, estimant que le principal objet de l’Union européenne « n’est pas de produire de l’égalité sociale », stigmatisant son extension à l’Est et pointant que ses institutions sont « coûteuses », « inefficaces » et « encouragent l’attitude élitiste de sa propre bureaucratie ». Mais il votera en définitive « in » parce qu’il croit au fédéralisme, à une Europe unie et… qu’ayant regardé qui faisait campagne pour le « out », il ne voit que des gens qu’il ne souhaite pas voir aux affaires.

Pour le cinéaste Ken Loach, il vaut mieux combattre de l’intérieur une Union européenne (UE) néolibérale et patronale plutôt que de l’extérieur.

En faveur du « no », l’historien franco-britannique Robert Tombs considère qu’il en est assez des éternels rafistolages et qu’il est temps, égoïstement, de se « préoccuper d’abord de nous-mêmes ». Retour aux origines, à la tradition britannique qui renvoie « au mythe politique selon lequel les décisions sont prises en dernier ressort par le peuple », à l’insularité et à l’isolationnisme historiques qui expliquent le refus de Shengen, de la zone euro et de la vision des « choix communautaires comme une capitulation ».

La professeure de civilisation britannique contemporaine à l’université Paris-III Pauline Schnapper, pesant les arguments des pro-« Brexit » et des anti-« Brexit », relève que l’opinion pense que le Royaume-Uni n’a pas besoin de l’Europe pour survivre, d’autant que son « entrée dans la Communauté économique européenne en 1973 a coïncidé avec la crise économique », ce qui n’a pas contribué à la rendre populaire. Elle distingue les conséquences économiques à court terme (une année de récession, chute de la livre, chute de la Bourse) et moyen terme (plus limitées), avant de signaler que l’Union européenne, sur un plan politique et diplomatique, a autant à perdre d’un « Brexit », que le Royaume-Uni, « puissance nucléaire », « qui dispose d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU »

A lire sur le sujet :

– Will Self : « Je suis un Européen, un point, c’est tout ». Propos recueillis par Philippe Bernard. L’écrivain britannique votera en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE. Il revendique son attachement à l’Europe.

Brexit : lettre ouverte à mes enfants, par Paul Seabright, professeur à l’Institut d’études avancées de Toulouse. Pour l’économiste britannique Paul Seabright, professeur à l’Institut d’études avancées de Toulouse, le « Brexit » est plus une affaire de cœur que de raison

Ken Loach : « La question de l’Union européenne est difficile pour la gauche », propos recueillis par Thomas Sotinel. Pour le cinéaste, Palme d’or à Cannes en 2006 et 2016, il faut sauver le soldat Corbyn (Parti travailliste) et mettre les préoccupations sociales au cœur de l’Europe.

Robert Tombs : « Le constant rafistolage de nos relations avec l’UE n’est bon pour personne », propos recueillis par Philippe Bernard (Londres, correspondant). L’historien britannique, spécialiste de la France du XXe siècle et de la Commune de Paris, penche en faveur du « Brexit ». Selon lui, l’adhésion des Britanniques s’est faite dès l’origine à reculons.

Lettre à un ami anglais, par Javier Cercas. Pour l’écrivain espagnol Javier Cercas, le « Brexit » constituerait le début de la fin de l’Europe.

Lettre ouverte à Winston Churchill, par Charles Dantzig. L’écrivain s’élève contre la rage antieuropéenne de l’ancien maire de Londres, Boris Johnson.

- « Brexit » : Lettre ouverte à William Gladstone, par Jean-Marc Daniel. L’économiste en appelle à l’ancien premier ministre de la reine Victoria pour dénoncer les approximations des partisans du « Brexit ».

Le « Brexit », une nouvelle frontière, par Geneviève Fraisse. La philosophe et ancienne députée européenne (1999-2004), évoque les échanges fructueux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

– Entretien avec Pauline Schnapper, professeure de civilisation britannique contemporaine à l’université Sorbonne-Nouvelle Paris-III : « Les Britanniques sont convaincus que le Royaume-Uni reste un grand pays », propos recueillis par Antoine Flandrin. Pour l’universitaire, le Royaume-Uni pense ne pas avoir besoin du continent pour survivre.

A lire aussi :

Le « Brexit », chance ou menace ?

« Should I stay or should I go ? », par Philippe Bernard (Londres, correspondant).

– Entretien avec Dacian Ciolos, premier ministre de la Roumanie : « Quel que soit le résultat du “Brexit”, il faut repenser le projet européen », propos recueillis par Marc Semo et Philippe Ricard.

– Hubert Védrine : « Il faut un compromis historique entre les élites et les peuples pour relancer le projet européen ». Pour l’ancien ministre des affaires étrangères, en cas de « Brexit » au Royaume-Uni, la solution serait une refondation susceptible d’enrayer l’euroscepticisme….

– Brexit : « L’Europe connaît une grave crise et ses institutions se mettent en congés », par Jean Arthuis (député européen et président de la commission des budgets du Parlement européen).