#BrexitOrNot : comprendre les enjeux d’un scrutin historique
#BrexitOrNot : comprendre les enjeux d’un scrutin historique
Le Monde.fr a organisé, mardi 21 juin, une journée spéciale à deux jours du vote des Britanniques sur la sortie, ou non, du Royaume-Uni de l’Union européenne.
DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP
Dans deux jours, les Britanniques seront appelés à se prononcer pour ou contre une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Le Monde. fr a organisé, mardi 21 juin, une journée spéciale pour comprendre les enjeux d’un scrutin historique dont les conséquences, en cas de victoire du vote « leave », dépasseraient largement leur propre pays.
En cas de « remain », le Royaume-Uni serait en position de force dans l’UE
Cécile Ducourtieux, correspondante du Monde à Bruxelles, a répondu aux questions des lecteurs du Monde.fr sur les enjeux du vote pour les institutions européennes. Si les Britanniques restent dans l’UE, ils seront en position de force, analyse-t-elle :
« David Cameron obtiendra très certainement ce qui a été négocié entre lui et les dirigeants européens en février 2016, lors d’un sommet au cours duquel il avait obtenu des dérogations à la non-discrimination des citoyens européens, c’est-à-dire que le Royaume-Uni puisse priver de droits sociaux des citoyens de l’Union en Angleterre, même s’ils travaillent. Londres aura aussi une forme de droit d’intervention sur les décisions des pays de l’eurozone. Il pourra être consulté systématiquement à chaque décision de l’eurozone. Il obtiendra aussi que les parlements nationaux aient le droit de s’opposer à une législation européenne. »
Sur le plan de l’intégration économique, M. Cameron arrivera probablement « à imposer l’agenda britannique dans l’Union, qui est davantage de libre-échange, de libéralisation, la priorité au marché intérieur, et on met en veilleuse les velléités d’intégration politique de l’Union européenne. »
Mais une sortie du Royaume-Uni de l’UE ne signifie pas pour autant l’avènement d’une l’Europe à deux vitesses, « une vieille idée, maintes fois remise sur la table » :
« Cette idée d’une Europe au sein de laquelle il y aurait un noyau dur des pays fondateurs et une périphérie avec des pays arrivés plus tard qui n’auraient pas le même objectif politique à long terme, aujourd’hui on n’y croit plus trop, parce que les pays fondateurs n’ont plus les mêmes objectifs politiques. »
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Si les problématiques liées à l’économie et à l’immigration semblent être au cœur des préoccupations des électeurs, la question de la souveraineté nationale est centrale dans le débat sur le « Brexit », relève Catherine Marshall, maître de conférences en civilisation britannique :
« Il y a toujours eu, du point de vue des Britanniques, une méfiance envers le projet européen, qui, dans son préambule au Traité de Rome en 1957, indiquait qu’il souhaitait “une Union sans cesse plus étroite”. Cette idée-là est contraire à l’idée de souveraineté parlementaire et, par extension, contre l’esprit même de la nation. »
Catherine Marshall déplore d’ailleurs que la campagne, qui a été « d’une grande violence », n’ait pas permis d’aborder cette question. Selon elle, « les vraies questions liées au fait qu’il est difficile d’avoir une démocratie directe au sein de l’Union européenne ont été éludées. »
Mais de quelle Europe les Britanniques veulent-ils alors ? Pour Mme Marshall, ils attendent de l’UE qu’elle soit, avant tout (voire en tout et pour tout), un espace de libre-échange commercial :
« Dès 1973, ce qui intéressait les Britanniques était le marché commun, au point même qu’au moment du référendum de 1975, Margaret Thatcher était favorable à rester au sein de la CEE (Communauté économique européenne). Les Britanniques étaient attachés à l’idée d’un marché commun qui répondait à leur vision libérale, à leur désir de libre-échange, à l’anti-régulation, et c’est pourquoi aussi ils ont toujours été en faveur d’un élargissement de l’Europe. »
Une campagne particulièrement violente
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Pour le romancier britannique Stephen Clarke, auteur de God save le Brexit ?, la campagne britannique a frisé l’hystérie. Surtout, elle n’a pas permis d’éclairer les électeurs sur les réels enjeux du scrutin à venir :
« Certains aspects de la campagne du « Brexit » sont une honte. Au lieu de parler des vrais enjeux, les politiques sont partis dans des discours quasi hystériques, brandissant d’un côté la menace d’une guerre mondiale si l’on sort de l’Europe, et de l’autre côté, celle d’une invasion si l’on reste. »
« Il faut dire que certains médias n’ont pas aidé en faisant une campagne de pure propagande, avec de faux chiffres et des arguments pour faire peur aux votants dans un sens ou dans l’autre », ajoute-t-il.
Mais il n’épargne pas les votants pour autant. « En réalité, sans vouloir être trop arrogant, dans n’importe quelle élection, beaucoup de votants ne savent pas ce que leur vote peut donner », commente-t-il. « On peut être très émotif à des moments surprenants », note encore l’écrivain. « D’ailleurs, ce qui excite beaucoup les gens favorables au Brexit, c’est la fausse idée selon laquelle Bruxelles veut interdire les chips au bacon fumé ! »
Le scrutin risque de favoriser le parti xénophobe UKIP
Philippe Bernard, correspondant du Monde à Londres, a analysé les enjeux politiques du référendum. Selon lui, le premier ministre, David Cameron, qui s’est fait réélire en mai 2015 sur la promesse d’organiser ce scrutin, se retrouve aujourd’hui dans une situation compliquée :
« Cameron pensait gagner haut la main le référendum avec des arguments économiques, aujourd’hui on voit à quel point ce projet s’apparente à un coup de roulette russe terriblement risqué : non seulement pour son avenir politique – il pourrait être amené à démissionner en cas de victoire du leave –, mais aussi pour l’unité du pays, puisque l’Ecosse risque de redemander l’indépendance en cas de Brexit. »
Et les conséquences pour son parti, profondément divisé sur la question, ne sont pas des moindres. Selon Philippe Bernard, il risque « l’explosion » :
« On voit mal comment tous les participants à la campagne pourraient se jeter dans les bras les uns des autres au lendemain du vote. »
Cependant, l’opposition travailliste, dirigée par Jeremy Corbyn, est dans un tel état de faiblesse qu’elle n’a « aucune chance de reprendre le pouvoir à court terme ». « La faiblesse du labour est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les tories se croient permis de se battre si ouvertement dans ce référendum », observe Philippe Bernard. Finalement, le référendum risque surtout de favoriser le parti xénophobe et antieuropéen UKIP, « c’est sous sa pression que le référendum a été organisé », rappelle Philippe Bernard.
Le scrutin aura surtout une conséquence grave pour la démocratie britannique. Si le « Brexit » passe, puisque la grande majorité des députés élus l’année dernière sont en faveur du maintien dans l’UE, « il y aurait un divorce entre le peuple et ses élus. »