Progresser sur tous les fronts, voilà l’entreprise. La protection du climat est l’un des 17 objectifs que les Nations Unies nous demandent d’atteindre. Tous sont nécessaires au succès de l’humanité sur sa planète. Et si la santé de l’atmosphère est cruciale, car toute combustion l’altère en tout point du globe, que dire de l’océan omniprésent, où tout finit par aboutir, le vieil océan, couplé au climat, souillé, pillé, somme toute négligé ? L’atmosphère et l’océan, deux immenses biens communs, difficiles à choyer, faciles à salir, devenus des égouts gratuits. Mettre en œuvre l’accord de Paris, avec ses innombrables prolongements, oui mille fois, mais commencer une longue marche pour l’océan, c’est aussi la tâche de l’heure.

Que de services nous rend-il, cet océan mal aimé, ceux que chacun connaît : la pêche, les transports, les ressources minérales, les loisirs, la beauté des horizons ; et ceux que l’on ne soupçonne pas : l’oxygène, les grands équilibres de la biosphère, la biodiversité, le cycle de l’eau. Et que de maux lui inflige-t-on, depuis la destruction de ses habitats et le massacre de sa faune jusqu’aux déversements de toute sorte et l’accumulation des déchets. Je frémis à l’idée que les rivages soient baignés un jour par une eau sale et maladive, que bientôt le danger, et non la vie, puisse venir de la mer rejetant nos cadeaux empoisonnés. L’angoisse m’étreint à la vue de malheureux pêcheurs troquant leurs filets vides pour des moustiquaires ratissant le dernier alevin.

Face au martyrologe de l’océan, les institutions n’ont montré ni détermination ni efficacité. Les responsabilités sont émiettées. Les seules réussites sont locales. L’UNESCO se concentre sur la science, la FAO s’efforce de démêler les devoirs des Etats du pavillon de ceux des Etats du port, l’OMI s’essouffle à faire accepter de nouvelles réglementations pour les navires, l’OMC veut réduire les subventions aux pêcheries, les organisations régionales de gestion de la pêche n’ont guère les moyens d’appliquer leurs recommandations, le PNUE a proclamé un programme mondial qui n’est qu’un guide, et finalement la grande conférence sur le droit de la mer ne s’est intéressée qu’aux questions de souveraineté, non au développement durable.

Toutefois, en l’absence de lois mondiales, il est un premier remède efficace, c’est la protection. A partir d’un pan de mer bien protégé, non seulement les ressources sont conservées, mais la reconquête est possible. Aujourd’hui un petit pourcentage de l’océan est protégé – 2 %, contre 12 % des terres –, demain il en faudrait bien davantage, la taille de la réserve et la rigueur de sa protection faisant la différence. Les scientifiques réunis au Congrès mondial des Parcs de 2014 à Sydney demandent que 30 % d’océan soit libéré de toute exploitation. Une aire marine protégée préserve la diversité des espèces et ensemence les eaux voisines, son hospitalité s’étend aux mammifères et aux oiseaux, elle maintient la richesse des fonds et des récifs, et, si elle est suffisamment tout à la fois grande, protégée et surveillée, elle permet aux prédateurs de survivre, abritant ainsi un complet échantillon de l’écosystème marin.

Voilà précisément le premier secret : la taille. Les scientifiques nous apprennent que les très grandes réserves marines ont des bénéfices que les petites n’ont pas. Désormais les Etats maritimes commencent à créer des aires marines protégées de plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés. Dans le Pacifique, les Américains ont commencé en 2006 par Hawaï (363 000 km2), les Australiens ont suivi avec la réserve marine de la Mer de Corail (114 000 km2), et rien qu’en 2015, les Britanniques ont déclaré celle de Pitcairn (834 000 km2), la Nouvelle-Zélande celle des Kermadecs (620 000 km2), le Chili celle de l’Île de Pâques (630 000 km2), puis les Palaos (500 000 km2) ont rejoint le club des très grandes réserves.

Second secret : la protection. Laissant seulement les îliens pratiquer la pêche côtière vivrière, toutes ces réserves d’un nouveau type sont hautement protégées, sans activité extractive, mines ou pêche. Elles ont un autre point commun : elles sont situées très loin dans les océans, isolées dans le grand bleu. Elles ne concernent que très peu de monde. Si je prends l’exemple des zones maritimes françaises, 97 % d’entre elles sont situées dans l’outre-mer, bien souvent à l’écart des zones habitées. Elles se prêteraient bien à une jachère durable.

Enfin, troisième secret, les moyens modernes de surveillance par satellite permettent de débusquer la pêche illicite où qu’elle se dissimule dans le monde. Un poisson sur cinq est pêché illégalement. Ces nouvelles techniques permettent d’identifier et de pister les braconniers. Elles fourniront ainsi aux pays signataires d’un nouvel accord des Nations Unies, le PSMA qui est entré en vigueur le 5 juin 2016, les moyens d’interdire dans leurs ports le débarquement des cargaisons ou le ravitaillement des navires pirates. Cette extraordinaire avancée lève les objections souvent formulées à l’encontre des grandes réserves.

En France une loi a été votée, des aires ont déjà été délimitées, une agence de la biodiversité doit les prendre en charge. Mais ces aires relèvent d’une quinzaine de catégories, sont de taille réduite, et veulent concilier l’exploitation et la protection, ce qui devrait s’appliquer à tout l’océan, pas aux réserves où la protection est la priorité. Des projets sont en cours dans le Pacifique, notamment en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, et dans l’Océan indien autour des Terres australes et antarctiques françaises, comme l’a déclaré très récemment la ministre de l’écologie. Il faut les soutenir. Ainsi, après l’accord de Paris qui témoigne de notre excellence diplomatique, la France, qui possède un très vaste domaine maritime, des scientifiques réputés et d’excellents marins, peut et doit donner l’exemple de l’amour de l’océan et de l’investissement d’avenir.