Les juges d’instruction français ont de nombreuses questions à poser au jeune homme de 26 ans, seul protagoniste direct des attentats entre les mains de la justice française. | GONZALO FUENTES/REUTERS

Contre toute attente, la ligne de défense de Salah Abdeslam est donc similaire à celle adoptée face aux enquêteurs belges : une absence de coopération. Le petit caïd radicalisé devenu le fugitif le plus recherché d’Europe jusqu’à son arrestation, le 18 mars, à Bruxelles, avait été extrait au petit matin de sa cellule de Fleury-Mérogis, au sud de Paris, où il est incarcéré, à l’isolement.

« Il n’a pas souhaité s’exprimer aujourd’hui », a expliqué son avocat, Franck Berton. Les juges d’instruction français ont pourtant de nombreuses questions à poser au jeune homme de 26 ans, seul protagoniste direct des attentats entre les mains de la justice française. Et surtout, suspecté d’être l’un des maillons clés de la cellule franco-belge à l’origine des attentats dans les deux capitales européennes.

Si les enquêteurs français n’ont toujours pas pu interroger le dernier membre vivant des commandos du 13 novembre 2015, les investigations ont permis de mettre au jour son rôle de logisticien dans les attentats.

  • Ses voyages suspects

Des mois avant les attentats du 13 novembre 2015, Salah Abdeslam avait servi de « convoyeur », multipliant les voyages pour prendre en charge des membres du réseau à travers l’Europe. Le premier voyage suspect connu des enquêteurs se déroule début août 2015. Après être passé en France, Salah Abdeslam est repéré en compagnie d’Ahmed Dahmani, un proche arrêté en Turquie, soupçonné d’être l’intermédiaire entre les revenants de Syrie, désireux de commettre des attentats sur le sol occidental et les djihadistes restés en Europe.

Les deux hommes se trouvent à Bari, en Italie, où ils embarquent, direction Patras, en Grèce. Le 4 août, ils font le trajet inverse. Les deux hommes ont-ils réalisé cette traversée pour récupérer des complices ou acheminer du matériel en vue de perpétrer les attaques ? Soupçonnant les deux suspects d’avoir sillonné ensemble l’Europe en voiture, les enquêteurs souhaitent notamment entendre Salah Abdeslam sur ce point, comme sur ses autres voyages.

Le 9 septembre 2015, Salah Abdeslam est contrôlé en Autriche à bord d’une Mercedes de location, en compagnie de deux hommes, porteurs de fausses cartes d’identité belges au nom de Soufiane Kayal et Samir Bouzid. Pour le premier, il s’agit en réalité de Najim Laachraoui, coordinateur des attentats de Paris et artificier présumé des attaques du 13 novembre 2015 et du 22 mars, qui s’est fait exploser dans l’aéroport de Bruxelles-Zaventem.

Pour le second, les enquêteurs ont affaire à Mohamed Belkaid, lui aussi coordinateur des attentats de Paris et Saint-Denis, mort le 15 mars en essayant de protéger Salah Abdeslam dans sa fuite d’un appartement de repli, à Forest, une commune bruxelloise résidentielle. Les enquêteurs souhaitent en savoir plus sur ces deux hommes que Salah Abdeslam est suspecté d’avoir récupéré, alors qu’ils revenaient de Syrie.

Moins de dix jours plus tard, le 17 septembre, Salah Abdeslam part de Belgique direction Budapest. Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir « recruté une équipe » parmi des migrants ayant transité par la gare de Budapest.

  • La logistique avant les attentats

Peu avant les attaques, c’est lui qui avait réservé en Belgique les voitures avec lesquelles le commando est venu à Paris. C’est lui encore qui avait loué les appartements dans lesquels les terroristes ont passé leurs dernières heures avant de commettre les attaques. Interrogé par les enquêteurs belges sur ce point, Salah Abdeslam a assuré qu’il avait effectué ces tâches à la demande de son frère :

« Chaque fois que j’ai dû louer des choses pour préparer ces attentats, l’argent venait de Brahim. »
  • Ses projets le soir du 13 novembre 2015

Le soir des attentats, le rôle de Salah Abdeslam reste opaque. Il a seulement reconnu auprès des enquêteurs belges que c’était bien lui qui avait déposé les trois kamikazes du Stade de France, à Saint-Denis, assurant qu’il devait, lui aussi, se faire exploser à cet endroit. Mais la suite est connue de tous : après avoir erré quelques heures dans le 18e arrondissement de Paris, puis à Montrouge (Hauts-de-Seine), Salah Abdeslam a été exfiltré vers la Belgique par des proches.

Les juges d’instruction français espèrent donc que les auditions du suspect permettront d’éclaircir son rôle le soir des attentats.

Au regard de l’avancée des investigations, mettant au jour une seule et même cellule franco-belge, les enquêteurs espèrent enfin que Salah Abdeslam fournira des éléments permettant de comprendre ses liens avec les terroristes et de saisir l’ampleur de ce réseau. Ami d’Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des attaques et tueur des terrasses, Salah Abdeslam a probablement partagé de nombreux secrets avec lui.

  • Sa cavale de cent vingt-six jours

Le lendemain des attentats du 13 novembre 2015, les enquêteurs avaient perdu la trace de Salah Abdeslam à Schaerbeek, une commune de Bruxelles. Il confie avoir été caché là-bas plusieurs semaines chez Mohamed Belkaid. Depuis plusieurs mois, les enquêteurs s’intéressaient à cet appartement, pensant qu’il servait de planque à des individus directement en lien avec les auteurs des attentats de Paris. En réalité, Salah Abdeslam se trouvait à l’intérieur avec des complices, maîtrisés depuis. Lui a finalement été arrêté à Molenbeek, le quartier de Bruxelles où il a grandi.

Autant d’éléments qui font penser aux enquêteurs que Salah Abdeslam peut, en théorie, livrer des informations cruciales sur la conception du projet djihadiste, ses commanditaires et d’éventuels complices encore dans la nature. Il peut aussi aider à démêler les liens entre les attentats de Paris et Saint-Denis et de Bruxelles, fomentés par la même cellule de l’organisation djihadiste Etat islamique.

Mais jusqu’à quel point ? Les déclarations de Sven Mary, l’avocat d’Abdeslam en Belgique, le décrivant comme un « petit con » à « l’intelligence d’un cendrier vide », « plutôt un suiveur qu’un meneur », laissent présager qu’il cherchera peut-être à minimiser son rôle.

« Il ne faut surtout pas être suspendu à ses lèvres » et attendre des « révélations sensationnelles », prévient Gérard Chemla, avocat de victimes des attentats, d’autant que « les investigations sont allées déjà très loin ».

Dans cette enquête tentaculaire, plus d’une vingtaine de personnes ont été mises en examen ou inculpées, principalement en Belgique. La justice française a d’ailleurs demandé la remise de quatre autres suspects inculpés à Bruxelles, dont trois soupçonnés d’avoir aidé Abdeslam dans sa fuite.