Il a mis son coup de crayon au service de séries comme Judge Dredd, X-Files ou Savage et s’est fait remarquer avec ses planches pour l’album La Mort Blanche qui traite de la guerre 14-18. Mais c’est définitivement avec son travail sur The Walking Dead, publié depuis treize ans, que le britannique Charlie Adlard s’est hissé parmi les noms les plus réputés du comic book et a remporté un prix Eisner, oscar de la bande dessinée, en 2010. Le dessinateur était de passage à Paris le vendredi 27 mai pour fêter les trente ans de Delcourt, son principal éditeur français.

Charlie Adlard, 49 ans, a succédé à Tony Moore pour dessiner la bande dessinée « The Walking Dead ». | DR Olivier Roller

Votre nom apparaît au générique de la série TV « The Walking Dead ». Participez-vous à sa conception ?

Je ne participe pas vraiment à la série télévisée. En premier lieu parce que je vis en Grande-Bretagne et qu’il serait donc très compliqué de travailler sur la série, parce qu’il faut être présent sur le tournage [en Géorgie, Etats-Unis, NDLR]. Je n’étais pas prêt à cela. Mais les réalisateurs empruntent suffisamment à la bande dessinée pour me laisser penser que j’y prends part. Ils s’inspirent de l’imagerie de la BD et transposent parfois des intrigues entières à l’écran.

Regardez-vous la série TV ? Etes-vous satisfait de l’adaptation qui est faite de votre travail ?

Oui, je la regarde et, en général, c’est une bonne adaptation. J’apprécie vraiment. Et c’est suffisamment différent du comic pour me tenir intéressé, je peux regarder la série sans m’ennuyer.

A quel personnage vous identifiez-vous le plus ? Ou du moins quel est votre préféré ?

Je ne me sens pas vraiment proche de l’un d’eux, mais mes personnages préférés, d’après la BD, sont Andrea et Michonne. Andrea a définitivement la plus grande part de noirceur, depuis le début. Et Michonne, c’est Michonne ! Elle est juste cool et c’est bien qu’elle ait pu rester un personnage aussi fort tout au long de la série. Elle est aussi très amusante à dessiner : dreadlocks, équipement de samurai, personnage féminin puissant… Comment pourrait-on ne pas l’apprécier ?

Michonne (à gauche) et Andrea, sont des personnages centraux du comic book « The Walking Dead ». | Charlie Adlard / Image Comics - Delcourt

Dans « The Walking Dead », la première menace vient des zombies, mais finalement les plus dangereux sont les humains…

C’est probablement cliché aujourd’hui de dire que les zombies sont un élément de l’histoire permettant de mettre en valeur les personnages, qu’au final ce sont toujours les humains qui se sabotent, mais ce doit toujours être le cas. Les zombies ne sont pas des personnages intéressants. Ce ne sont pas des créatures pensantes de toute façon, et en faire les seuls ennemis serait presque inutile. Faire que les humains soient les méchants est beaucoup plus excitant. C’est un cliché, mais un cliché qui fonctionne : l’inhumanité de l’homme, le fait qu’il bousille tout continuellement…

Illustration de couverture du tome 25. | Charlie Adlard / Image Comics - Delcourt

Avez-vous une astuce pour faire apparaître dans votre dessin le mauvais côté des personnages ?

Les sourcils (il mime, en riant, des sourcils froncés) ! Non, en réalité, c’est toujours plus intéressant de ne pas dessiner un méchant trop évident, comme un pirate avec un cache œil… J’essaie en tout cas de l’éviter.

La série a mis un coup de projecteur sur le comic, l’a rendu très célèbre. N’est-ce pas une contrainte pour dessiner la suite des aventures ?

Non, nous suivons notre propre plan. Dans la bande dessinée, nous sommes plus avancés dans l’histoire, de sorte que la série ne l’affecte pas. Il n’y a jamais eu de moment où l’on s’est dit qu’il était mieux pour la BD de se rapprocher de l’adaptation télé. Pour être honnête, c’est plutôt la série qui s’inspire de nous et nous ressemble. Ça ne se passe jamais dans le sens inverse, nous devons sans cesse voir plus loin et nous avons plus de possibilités de rebondissements.

Donc, peu importe si le public aime un personnage, si cela est utile à l’histoire, vous le tuerez…

Oui, absolument, nous l’avons déjà fait, nous avons déjà tué plusieurs personnages. La série télé a parfois décidé de laisser vivre certains personnages alors que nous les avions tués, et vice-versa. Bizarrement, les personnages qui fonctionnent à la télé ne sont pas forcément les mêmes que dans les comic books. Prenez Andrea, c’est un bon exemple. Elle fonctionne à merveille dans la BD et, pour certaines raisons, elle a été tuée dès le début dans la série.

L’épisode final de la dernière saison (qui se conclut par la mort d’un personnage dont l’identité ne sera révélée que dans la prochaine saison) a d’ailleurs pas mal énervé les spectateurs…

Oui, oui, en effet… Surtout parce que tout le monde est quasiment convaincu que c’est la personne prévue [la même que dans la BD, NDLR] qui est tuée. A vrai dire, je ne sais pas qui meurt, au final, dans la série. Si vous lisez la bande dessinée, vous saurez et verrez pourquoi j’ai fait ce cliffhanger [suspense]. Je ne suis pas en train de critiquer la série, je pense que cette fin a été plus conçue pour ceux qui ne lisent pas les BD.

La bande dessinée est en noir est blanc. Vos fans estiment que votre coup de crayon est très épuré et efficace, ce qui en fait un plus pour l’histoire. Or la série TV est en couleur. Est-ce que ça ne l’édulcore pas trop ?

Quand nous avons appris qu’il y aurait une série télé, je n’ai jamais imaginé qu’elle serait en noir et blanc, cela aurait été un suicide commercial ! Pour ce qui est de la violence, nous pouvons en avoir plus dans le comic book, principalement parce qu’il y a un niveau de réalisme en moins juste parce que c’est sur papier. Il y a donc une limitation de la violence que nous n’avons heureusement pas dans la bande dessinée.

Planche extraite du tome 1 de « The Walking Dead ». | Charlie Adlard / Image Comics - Delcourt

Savez-vous quand et comment va finir « The Walking Dead » ?

Oui et oui, mais je ne vous dirai rien (éclats de rire). Ce serait idiot de ne pas prévoir de fin. Il y aurait quelque chose de déprimant à écrire et profiter sans qu’il y ait de direction. Même si vous ne savez pas quand cela s’arrête ou si ça durera toujours, vous avez besoin d’une direction. Sur les histoires de superhéros, même si les artistes s’enchaînent, il y a un arc narratif. Je serais vraiment surpris qu’un auteur n’ait pas de conclusion où emmener ses personnages, et c’est la même chose avec The Walking Dead. Nous avons une ligne directrice et défini une conclusion, une idée de comment cela va finir, ce qui n’empêche pas des intrigues de s’ajouter ou se dénouer au fil des années.

En dehors des zombies, quels sont les projets qui vous intéressent en ce moment ?

Dans l’univers de The Walking Dead, il y a une série dérivée et centrée sur le personnage de Negan, qui va paraître chaque mois dans le magazine de prépublication Image + aux Etats-Unis. A raison de quatre pages par mois, l’histoire devrait être terminée au bout d’un an. Je suis aussi en train de dessiner, pour les éditions Soleil, Vampire State Building [jeu de mot sur l’Empire State Building], une histoire en deux tomes. Je n’ai pas vraiment besoin de vous résumer l’idée car le titre dit tout. C’est un comic book amusant à concevoir, assez contrasté avec The Walking Dead, ce qui est très bien car je n’aime pas me répéter.

« The Walking Dead », tome 25, « Sang pour sang », de Robert Kirkman (scénario), Charlie Adlard et Stefano Gaudiano (dessin), éditions Delcourt, sorti le 30 mars.

Le « Art book », de Charlie Adlard, retrace sa carrière. Est disponible, aux éditions Delcourt, depuis septembre 2015.

La série télé, « The Walking Dead », adaptée par Frank Darabont et Robert Kirkman, est diffusée aux Etats-Unis sur AMC et en France sur OCS.