La patronne de la CCNUCC, Christiana Figueres, présente à Bonn pour la dernière fois, avant de céder son fauteuil en juillet. | PATRIK STOLLARZ / AFP

En quittant le Convention Center des bords du Rhin, jeudi 26 mai au soir, les négociateurs climat s’interrogeaient sur l’atmosphère qui dominera leur prochaine rencontre officielle, la conférence mondiale de Marrakech, ou COP22, en novembre au Maroc. S’agira-t-il d’une « COP barbante » (« boring COP », en anglais) comme le pressentent bon nombre de délégations de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ?

La session de travail qui les a réunis pendant dix jours a offert un bon aperçu de l’ennui qui peut gagner la sphère des négociations onusiennes lorsque les discussions se concentrent sur des sujets techniques et des points de procédure.

En 2015, dans cette même enceinte où ils s’étaient réunis à trois reprises, les Etats membres de la CCNUCC réclamaient à cor et à cri une « impulsion politique » pour pousser les pays les plus réticents à avancer vers un accord collectif de lutte contre le réchauffement. Cette année, le calendrier ne comportait qu’une session de travail en commun, dominée par un mot d’ordre moins galvanisant : il faut s’atteler à la « mise en œuvre » de l’accord de Paris, le texte adopté le 12 décembre 2015, à l’issue de la COP21, avec l’objectif de contenir la hausse de la température planétaire bien en dessous des 2 °C.

Grandes lignes de l’agenda

« Tenter d’entretenir une dynamique politique, comme le fait la présidence française de la COP21, n’a pas de sens ici, confie un chef de délégation. Ce qu’on attend de Bonn, ce sont des modalités de travail pour les trois ans à venir, jusqu’en 2018, lorsque l’on dressera un premier bilan mondial des engagements des pays. » « L’objectif de cette session était de préciser les contours de la feuille de route adoptée à Paris », explique de son côté la Néo-Zélandaise Jo Tyndall, désignée le 16 mai coprésidente du groupe de travail sur l’accord de Paris (APA) avec la Saoudienne Sarah Baashan.

L’objectif est globalement rempli : les grandes lignes de cet agenda ont été tracées par l’APA et par les deux autres groupes qui structurent les débats, le SBI (l’organe subsidiaire pour la mise en œuvre) et le SBSTA (l’organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique). Les délégués ont planché notamment sur les questions relevant de la transparence, de l’adaptation, de la comptabilisation des ressources financières, du contenu des « contributions nationales » – les scénarios des Etats face au changement climatique – et de la contribution de la science à ce bilan 2018.

« Reste à faire le tableau de bord »

Dans un message vidéo envoyé depuis Nairobi, au Kenya, où Ségolène Royal et le ministre marocain des affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, assistaient à l’ouverture de l’assemblée des Nations unies sur l’environnement, la ministre française et présidente de la COP21 a tiré ces conclusions : « Vous avez arrêté la méthode, reste à faire le tableau de bord. » Plus tôt dans la journée, la chef négociatrice Laurence Tubiana a confirmé que le secrétariat de la CCNUCC proposerait prochainement un « outil » permettant de suivre les progrès pour chacun des dossiers ouverts par l’accord scellé en décembre au Bourget.

Inspirés sans doute par le nouveau slogan de la CCNUCC, « Nous accélérons l’action sur le climat », les négociateurs ont fait le point sur un autre calendrier, celui de la ratification de l’accord de Paris.

La secrétaire exécutive de la CCNUCC, Christiana Figueres, saluée jeudi pour sa dernière participation à une session de Bonn (le 6 juillet, elle cédera son poste à l’ambassadrice du Mexique à Berlin, Patricia Espinosa), en a convenu : l’accord de Paris pourrait entrer en vigueur dès 2017 si les deux conditions requises étaient remplies, qu’au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre aient ratifié le document à cette date.

Demande des pays les moins avancés rejetée

Le Maroc, présidence montante de la COP, a entamé des consultations informelles sur ce sujet. A ce jour, 17 Etats ont ratifié l’accord, et les deux plus gros émetteurs mondiaux, la Chine et les Etats-Unis, se sont engagés à faire de même avant fin 2016. L’éventualité d’une entrée en vigueur rapide de l’accord a été « très discutée à Bonn », confirme Jo Tyndall. « Cela peut aider les parties à prendre conscience de l’urgence d’agir et à progresser » plus rapidement dans les négociations, estime la coprésidente néo-zélandaise. Ségolène Royal a prévu de se rendre lundi à Moscou pour inviter la Russie à s’engager elle aussi dans la voie d’une ratification rapide.

La majorité des Etats et des observateurs de la CCNUCC en conviennent, le succès de la lutte contre le réchauffement dépendra de la capacité des acteurs à maintenir un rythme de travail soutenu. En clôture de la session, les pays les moins avancés (PMA) et le groupe Afrique ont demandé que des ateliers thématiques et des documents techniques nourrissent les débats d’ici Marrakech. Demande rejetée par les coprésidentes de l’APA, certaines parties n’étant pas prêtes à s’impliquer dans ce mode de travail. Les coprésidentes s’engagent à produire une note de scénario d’ici la COP22.

Pour meubler ces cinq prochains mois qui s’annoncent calmes, le Maroc devrait organiser plusieurs rendez-vous. « Une réunion des coalitions [en matière d’énergies renouvelables, de transport, d’accès à l’eau, de gestion des sols et des forêts, de prix du carbone…] se tiendra à Tanger le 23 juin », a annoncé l’ambassadeur marocain Aziz Mekouar. Un forum sur le prix carbone et une COP des pays méditerranéens (ou MedCOP) devraient être organisés aussi dans le courant de l’été.

Long tunnel jusqu’à Marrakech

Le long tunnel qui s’ouvre jusqu’à la COP22 pourrait permettre d’avancer vers le consensus autour de deux sujets qui ont divisé les participants au SBI, autre instance de négociation convoquée pendant dix jours à Bonn. En refusant d’inclure dans ses conclusions les craintes des pays en développement devant la montée en puissance du secteur privé dans l’action climatique et le risque de conflit d’intérêts qui en découle, le président du SBI, Tomasz Chruszczow, a déclenché les foudres des nations du Sud emmenés par l’Equateur.

Une joute a ensuite opposé l’Iran aux Etats-Unis, et dans leur sillage les pays en développement face aux puissances industrialisées, sur la question de l’accès des pays au financement. « Nous avons porté ces dernières années plusieurs projets devant le fonds pour l’environnement mondial [FEM], aucun d’entre eux n’a été instruit », s’est étonné le négociateur iranien, sans évoquer nommément les sanctions imposées jusqu’ici à Téhéran.

Washington s’est réfugié derrière des règles de procédure pour refuser de voir réexaminer le mécanisme financier du FEM. Les discussions sur ces deux points reprendront au Maroc. Elles portent en elles l’espoir d’une COP pas si barbante que supposée.