Uber, avec le soutien de la mairie de Bagnolet, Pole Emploi et la Fondation Agir contre l’exclusion (FACE93) lance un projet visant a accompagner les aspirants chauffeurs. Dans le Gymnase Jean-Reneault des aspirants chauffeurs peuvent rencontrer des professionnels de Voitures Noires, Rent A Car, ADIE ou encore PlanetAdam. | Julien MUGUET / © Julien Muguet pour Le Monde

Depuis quelques années, la notion de charge de travail s’est largement invitée dans les négociations professionnelles. Plusieurs accords nationaux interprofessionnels (ANI) portant sur le stress, les risques psychosociaux ou la qualité de vie au travail l’ont évoquée. L’obligation de mesurer la charge de travail est ainsi devenue l’un des piliers de la prévention des risques psychosociaux, en plus d’être une obligation pour tout employeur.

Mais comment mesurer et évaluer la charge de travail ? Un livre blanc réalisé par le groupe Silamir, spécialisé dans l’accompagnement de la transformation métier et digitale des entreprises et le cabinet Lusis Avocats, et publié le 12 mai, tente de contribuer à la réflexion.

La surcharge de travail, le non-respect de la durée du travail ou encore la non-évaluation régulière de la charge de travail sont régulièrement invoqués par les tribunaux ou les caisses primaires d’assurance maladie. Soit pour établir un lien de causalité entre un accident et les conditions de travail, soit pour reconnaître un manquement de l’employeur et établir l’existence d’une faute inexcusable. L’arrêt Fnac rendu par la Cour d’appel de Paris le 13 décembre 2012 a marqué un tournant dans la jurisprudence : il a révélé l’obligation de fournir des « éléments quantitatifs sur les transferts de charge de travail » induits par tout projet de réorganisation, sous peine d’être recalé.

Indicateur insuffisant

Pourtant, selon les auteurs du livre blanc « L’évaluation et l’objectivation de la charge de travail », près des deux tiers des entreprises étudiées n’ont pas mis en place d’actions sur la charge de travail et la même proportion d’entreprises ne dispose pas, pour l’heure, de moyens, de processus ou d’outils spécifiques de remontée des données. Pour les 35 % d’entreprises qui ont mis des actions sur la charge de travail, la mesure du nombre d’heures travaillées est plébiscitée.

Pourtant les entreprises ont souvent conscience de l’insuffisance de cet indicateur pour appréhender cette notion dans toute sa complexité, notamment pour les cadres, les professions intellectuelles et les personnes travaillant en mode projet…

Partant de ces constats, le groupe Silamir a lancé avec le cabinet Lusis Avocats en 2014 un Observatoire opérationnel de la charge de travail (OOCT), chargé de développer, avec l’aide d’une vingtaine de grands groupes, des outils de mesure objective. Le but est de cerner les différents critères pouvant influencer la charge de travail d’un poste et notamment de faire la différence entre la charge de travail prescrite et la réalité du travail.

Trois variables

L’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), qui travaille sur le sujet depuis des années, distingue la charge de travail prescrite, la charge de travail réelle et la charge de travail ressentie par le salarié.

Forte de cette expérience, elle recommande une approche autour de ces trois variables : identifier la charge de travail prescrite (les tâches à réaliser qui comprennent une dimension quantitative et qualitative et qui relèvent du « devoir »), caractériser la charge réelle de travail (c’est-à-dire tout ce que mettent en œuvre les individus et les collectifs pour atteindre leurs objectifs, et qui relève du « faire ») et enfin, définir la charge de travail subjective ou vécue (c’est-à-dire l’évaluation que font les salariés de leur propre charge, la manière dont ils la vivent et la supportent).

En effet, une même charge de travail n’est pas vécue de la même façon d’une personne à l’autre, en fonction de sa condition physique ou psychique, de son intérêt pour les missions, de sa vie personnelle, de sa résistance au stress, etc.

Qu’est-ce qu’une surcharge ?

L’Anact définit la surcharge de travail comme « un seuil à partir duquel les risques sur la santé physique et mentale deviennent tangibles ». Le livre blanc reprend cette idée de seuil de tolérance à partir duquel le salarié peut être mis en danger.

Mais pour l’Anact, il ne s’agit pas tant de mesurer la charge de travail de façon arithmétique que d’initier un débat qui permette aux acteurs de l’entreprise de confronter leurs points de vue. « En permettant l’expression et la comparaison de ces trois variables, on peut mesurer, d’une part, l’écart et les décalages qui existent entre elles et, d’autre part, décider concrètement sur quels éléments peut porter la régulation de la charge de travail. Il peut s’agir de problèmes de gestion d’effectifs, de fixation du bon taux de qualité, du nombre de clients reçus ou encore de pièces produites » détaille Thierry Rousseau, chargé de mission à l’Anact et auteur de « La charge de travail : De l’évaluation à la négociation » (2004, qui va être réactualisé dans les prochaines semaines).

« Ces questions ne peuvent se régler qu’au sein d’un débat collectif impliquant tous les acteurs de l’entreprise et d’un rapprochement entre manageurs de proximité et salariés. Il peut bien sûr s’agir de faire moins ou plus - car la sous-charge pose également des problèmes, mais surtout de susciter un dialogue autour de la régulation de la charge de travail. Cette régulation passe par des espaces de discussion, une meilleure collaboration entre les personnes, des référentiels métiers… L’enjeu est de mieux concilier les objectifs de performance et la santé des salariés ».

La méthodologie du Livre blanc

De son côté, le livre blanc préconise une méthodologie reposant sur trois piliers principaux : un référentiel d’évaluation de la charge de travail par poste, la définition d’une fourchette d’acceptabilité (ou seuil de tolérance, à l’instar des seuils d’exposition au risque chimique) grâce à une matrice d’analyse et la responsabilisation du management. Selon les auteurs, cela permettrait de « dépasser le débat entre personnalisation et besoin d’objectivité ».

Par ailleurs, il propose de remplacer la mesure de la charge par la mesure de l’expérience salarié, « une notion plus globale », inspirée par le groupe Orange qui a créé une direction de l’expérience salarié en 2015. A cette fin, il propose différents outils : un questionnaire NPS (« Net Promoter Score ») qui quantifie la satisfaction du salarié sur le modèle de ce qui est pratiqué pour mesurer la satisfaction client, des évaluations individuelles trimestrielles ou annuelles et des systèmes d’alertes transversaux.

A cette mesure globale de l’expérience salarié, doit être combinée la mesure des « irritants » relativement objectivables (par exemple des logiciels défaillants ou sous-dimensionnés, un environnement de travail peu adapté, une mésentente entre collègues) et sur lesquels il est possible d’agir.

D’autres notions importantes doivent également être intégrées à la réflexion : celles de la rétribution et de la reconnaissance des efforts fournis pour réaliser la charge de travail réelle ou encore celle de la qualité des métiers.