En Côte d’Ivoire, les règlements de compte dans la filière de l’anacarde se poursuivent autour des milliards de francs CFA évaporés. Suite aux conclusions du rapport du cabinet de conseil Deloitte, la Haute Autorité pour la bonne gouvernance a décidé d’ouvrir une enquête sur la gestion du Conseil du coton et de l’anacarde (CCA). C’est ce qu’indique l’ancien premier ministre, Seydou Diarra, à la tête de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance, dans une missive datée du 30 mai.

Toutefois, pour le moment, l’enquête, qui n’a pas pu démarrer le 31 mai, a été repoussée à la date du 7 juin. Elle n’a néanmoins toujours pas commencé. C’est désormais le secrétaire général de la présidence, Amadou Gon Coulibaly, qui a le dossier entre les mains et donnera le top départ des investigations.

Dans le rapport définitif de mai 2016 consulté par Le Monde Afrique, les auditeurs de Deloitte relèvent une myriade de dysfonctionnements au sein de la filière anacarde, la coque qui abrite la noix de cajou : marchés de gré à gré, règlements en espèces des fournisseurs à hauteur de 826 millions de francs CFA en 2014 (1,2 million d’euros), chèques impayés à hauteur de plusieurs milliards de francs CFA, retraits en cash injustifiés, transactions bancaires douteuses et gestion calamiteuse. Le tout sur fonds de soupçons de corruption et de détournements importants.

Héritage toxique

Le 26 mai, à l’issue du conseil des ministres, le directeur général du CCA, Malamine Sanogo, et son adjoint, Adama Coulibaly, ont été suspendus de leurs fonctions. Pour se défendre, le CCA explique l’héritage toxique de son prédécesseur, l’Autorité de régulation du coton et de l’anacarde (Areca), et notamment une dette fiscale et sociale de plus de trois milliards de francs CFA. A cela s’ajoute une « fuite massive de la noix brute de cajou par voie terrestre vers les pays limitrophes que sont le Ghana et le Burkina Faso », peut-on lire dans sa réponse adressée à la Haute Autorité pour la bonne gouvernance.

Quid des nombreux marchés passés en gré à gré ? « Face aux cycles de productions et saisons, les appels d’offres posent problème en ce qui concerne les délais des procédures », se défend le CCA. Quant aux règlements en espèces, « le secteur agricole est un secteur hautement informel », se justifient les dirigeants de cette institution.

Et le prêt de 1,9 milliard de francs CFA octroyé au CCA par le Conseil du café-cacao le 3 juin 2014 ? Seulement 2 % de cette somme a été dépensée correctement, selon le rapport de Deloitte. « La campagne a été ouverte le 15 février 2014 (…) Ainsi, ne pouvant attendre que s’achève la campagne de commercialisation de la noix de cajou 2014 sans qu’on ait eu à exécuter les dispositions de la réforme comme convenu dans le prêt. »

Dysfonctionnements majeurs

De son côté, le ministère de l’agriculture, auquel est rattaché le CCA, affine une défense qui semble être une contre-attaque. Dans un mémo consulté par Le Monde Afrique, le ministère conclut que « le problème de fond, c’est d’avoir recruté un des acteurs actifs de la filière pour la réguler ». Et pointe ainsi la responsabilité de Mamadou Berté, directeur général adjoint du CCA, auparavant responsable des achats du groupe singapourien Olam.

Ce géant du négoce achète plus de 15 % de la production ivoirienne d’anacarde qui s’élève à 625 000 tonnes en 2015. Le ministère de l’agriculture ivoirien soupçonne M. Berté « d’avoir monté des affaires autour de cette filière » avec plusieurs sociétés d’achat et d’exportation d’anacarde dirigées par ses proches dont son épouse, la femme d’affaires Mariam Sylla, et par des hauts responsables de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance.

Faisant fi des dysfonctionnements majeurs pointés par le rapport du cabinet de conseil Deloitte, le ministère de l’agriculture accuse M. Berté « d’être en affaires » avec le secrétaire général de la Haute autorité pour la bonne gouvernance, Yves Yao Kouamé. Il évoque notamment une société de Mme Sylla, SNPA.

« Comment pouvais-je savoir que la société SNPA appartenait à Mme Sylla ? Et puis j’ai obtenu l’agrément pour vendre moi-même ma production au prix fixé par l’Etat, se défend M. Kouamé qui se sent visé par des acteurs de l’anacarde soupçonnés de corruption. Jamais mes décisions n’ont servi mes intérêts privés. Au contraire, sinon aurai-je souhaité une enquête sur le CCA pour savoir si oui ou non il y a eu des détournements ? Tout le monde sait que je dispose de 170 hectares d’anacarde et que ma société K-Agro Industrie fait de la transformation ».

La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial d’anacarde, voit ce secteur crucial transformé en un champ de bataille politico-économique sur fonds de rivalité entre clans. La lutte contre la corruption, priorité du président Alassane Ouattara, et l’aboutissement des enquêtes y mettront peut-être un terme.