Le lanceur d’alerte Edward Snowden, lors d’une conférence en février 2016. | Juliet Linderman / AP

« On peut discuter de la manière dont il l’a fait, mais je pense qu’Edward Snowden a rendu un service public en ouvrant le débat. » Cette déclaration, qui émane de l’ancien ministre de la justice des Etats-Unis Eric Holder, est loin d’être anodine. En 2013, lorsque M. Snowden avait révélé l’existence du système de surveillance de masse d’Internet mis en place par la NSA, l’agence gouvernementale américaine chargée de la sécurité intérieure, et par ses alliés, Eric Holder était en poste, et avait mené les négociations avec la Russie pour tenter d’obtenir l’extradition d’Edward Snowden.

Dans un long entretien au podcast The Axe Files, l’ancien ministre de la justice reste convaincu que le lanceur d’alerter doit être jugé, mais s’est montré considérablement plus mesuré qu’il y a trois ans. « Je continue de penser que ce qu’il a fait, et la manière dont il l’a fait, étaient inappropriées et illégales », a dit M. Holder. « Mais je pense aussi que, lors de la décision sur sa sentence, le juge devrait prendre en compte l’utilité qu’a eue ce débat national qu’il a déclenché ».

Le « cadeau » Edward Snowden

Etonnamment, l’ancien directeur de la NSA et de la CIA (l’agence gouvernementale américaine chargée du renseignement extérieur) entre 1999 et 2009, Michael Hayden, semble partager la même analyse. Dans son livre Playing to the Edge (non traduit en français), publié en février, il explique que « d’une certaine manière, et de façon limitée, Snowden a aussi été un cadeau. Je ne lui souhaite pas le sort réservé aux canaris dans les mines, mais il a eu le même rôle – il est la conséquence visible (mais pas la cause) d’un changement culturel majeur qui a redéfini la légitimité du secret, les nécessités de la transparence, et les fondements du consentement des gouvernés ».

Considéré comme l’un des plus fervents critiques d’Edward Snowden, notamment après une plaisanterie douteuse en 2013 sur le fait qu’il avait envisagé de mettre le lanceur d’alerte sur une « kill list » de gens à abattre, M. Hayden a dit lors d’une conférence en Grande-Bretagne ce week-end qu’il restait toutefois convaincu que les révélations avaient causé un énorme tort aux Etats-Unis. « 2 % de ce que Snowden a révélé, la partie sur la vie privée, a accéléré un débat nécessaire. Les 98 % restants concernaient la manière dont les Etats-Unis et d’autres pays collectent des informations légitimes… Cela a été incroyablement néfaste. »

M. Hayden a également jugé, lors de la même conférence, que « l’habitude […] est de considérer qu’en matière de vie privée, le gouvernement a toujours été la principale menace. […] Mais selon la définition moderne de ce qu’est la vie privée, Mark Zuckerberg aura probablement une plus grande influence sur votre vie que mon gouvernement ou le vôtre, parce que les règles sont intégrées directement dans les services de Facebook ».

Lente évolution de l’ambiance politique

Aux Etats-Unis, de nombreux responsables administratifs et politiques – dont Hillary Clinton – expliquaient depuis trois ans que, quelle que soit la portée des révélations d’Edward Snowden, ce dernier aurait dû passer par la voie hiérarchique pour dénoncer les débordements qu’il avait constatés. Cet argument a été mis à mal ces dernières semaines, après les révélations d’un ancien responsable du programme encadrant les lanceurs d’internes au Pentagone : John Crane. Cet ancien responsable du Pentagone, qui s’est exprimé pour la première fois à visage découvert, a expliqué dans le détail comment le lanceur d’alerte Thomas Drake, cité en exemple par Edward Snowden, avait été trahi par l’administration et poursuivi en justice. Thomas Drake avait finalement été innocenté après de longues années de procédures judiciaires.

Le principal intéressé, qui vit toujours à Moscou mais a toujours affirmé qu’il était disposé à revenir aux Etats-Unis s’il obtenait les garanties d’un procès équitable, a en tout cas pris note d’un début de changement d’atmosphère politique outre-Atlantique. Réagissant aux déclarations de l’ancien ministre de la justice Eric Holder, il a publié un message en forme de chronologie : « 2013 : c’est une haute trahison ! 2014 : Peut-être pas, mais c’était inconsidéré. 2015 : Bon, techniquement, c’était illégal. 2016 : C’était un service public mais. 2017 : ? »