Heurts entre Marseillais et supporteurs britanniques, à Marseille, le 10 juin. | EDDIE KEOGH / REUTERS

« Pour l’instant, cela n’a rien à voir avec les événements de 1998 C’est juste quelques gamins qui chantent, bloquent la circulation et provoquent la police. » Derrière le comptoir de son bar à vins La Part des Anges, deux rues en retrait du Vieux-Port, dans le 1er arrondissement de Marseille, Georges Zucca a la légitimité de l’expérience et une vraie connaissance du football. Il y a dix-huit ans, pendant la Coupe du monde en France, il officiait dans un autre établissement du cœur de la ville.

« Ce soir-là, raconte-t-il, hilare dans son tablier de service, j’avais tenté une sortie pour rentrer chez moi, mais j’étais vite revenu me mettre à l’abri dans le bar. Ça se battait partout, les Anglais jetaient tout ce qu’ils trouvaient par les fenêtres des chambres de leurs hôtels… »

Vendredi 10, en fin d’après-midi, alors que les premiers incidents commencent sur les quais entre supporteurs anglais et forces de l’ordre, Georges Zucca a juste rapatrié ses clients de la terrasse vers l’intérieur du bar. « Des Français, des Ecossais, des Anglais, énumère-t-il. On commençait un peu trop à sentir les gaz lacrymogènes. Mais, ça n’a pas duré longtemps. »

Chaos sur le Vieux-Port

Deux cents mètres plus bas, alors que l’équipe de France s’apprête à commencer son Euro 2016 contre la Roumanie, le Vieux-Port est un chaos. Quelques coups partent, sporadiques, entre jeunes Marseillais surchauffés et Britanniques cuits par le soleil. Les bars, bondés depuis midi, ferment les uns après les autres. Les serveurs balayent le verre des terrasses, attentifs aux vagues de policiers repoussant, physiquement ou à coups de gaz, les quelques centaines de supporteurs anglais qui n’ont pas décidé d’aller manger au restaurant ou voir le match ailleurs. Ceux-là chantent toujours en buvant de la bière. Et vice-versa.

« Tout s’est bien passé. Ils n’ont fait que s’amuser », assure la patronne sans âge de la Brasserie du Vieux-Port, alors que son équipe de serveurs rentre les tables fissa. En début de soirée, l’établissement s’est transformé en QG de la « British Army », drapeaux tendus, pintes à la main. Plusieurs dizaines de ces supporteurs, torses nus ou maillots rouges des Trois Lions sur le dos, ont fait le show. Les tubes du jour ? « Football is coming home » (le foot revient à la maison) ou « Rooney is on fire » (Rooney – l’attaquant vedette de la sélection – est en feu…). Une grenade lacrymogène a mis fin au spectacle, filmé par des dizaines de badauds. L’attroupement devenait trop imposant, l’attitude des fans anglais belliqueuse. Tout le monde se dissipe dans les rues voisines.

Fonctionnaires de police anglais

Deux heures auparavant, le même scénario s’est joué devant le pub O’Malleys, adopté lui aussi par les supporteurs. Circulation bloquée, alors que provocations et quelques lancers de bouteilles de bière ont déclenché la réaction de l’important dispositif policier. Bilan, sept arrestations, dont certaines effectuées directement par des fonctionnaires anglais reconnaissables à l’Union Jack figurant sur leur chasuble. Les Russes, qui doivent pourtant être 13 000, ce samedi, au Stade-Vélodrome ? Invisibles ou presque.

Alors qu’en conférence de presse, Roy Hodgson, le sélectionneur anglais, espère que « les supporteurs vont s’amuser durant le tournoi et ne pas causer de problèmes », Geoff Dahl, lui, parle de « honte ». Avec ses trois amis, ce trentenaire londonien a échoué par hasard sur la terrasse du Bar de la Plaine, haut lieu du football marseillais, à plus de 1 kilomètre du Vieux-Port.

Les quatre Anglais sirotent une pinte, discrets, au milieu des clients habituels. « Nous avions choisi Marseille avant le tirage au sort, pour vivre l’Euro au milieu des Français, explique-t-il. Quand nous avons compris que l’Angleterre jouerait ici, c’était la catastrophe. Il y a tant de gens stupides parmi nos supporteurs… »

« Nous sommes restés cinq minutes sur le Vieux-Port. Juste le temps de se rendre compte de l’ambiance et de se sauver, poursuit Tim Hewitt. Beaucoup de ces fans sont des supporteurs de clubs qui ont perdu leurs grandeurs, comme Leeds ou Millwall… Suivre l’Angleterre est pour eux une revanche. »

« Leur attitude doit beaucoup à la question de l’affirmation d’une certaine masculinité blanche et nationaliste, complète John Curran, anthropologue et supporteur du club londonien de Crystal Palace. Il y a du racisme et un reste de colonialisme dans tout cela. » Geoff, Tim, Jon et John n’ont pas de billets pour Angleterre-Russie. Ce samedi, ils iront plutôt se promener à Cassis, à 30 kilomètres, et regarder le match dans un bar. Quand ils reviendront en ville, le gros des 25 000 supporteurs anglais attendus aura sûrement levé le camp.