Le secrétaire générale de la CGT, Philippe Martinez, le 10 juin, à Villiers le Bel. | PIERRE CONSTANT / AFP

Comme beaucoup de gens en ce moment, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, a des difficultés de transport. Lui, c’est pour véhiculer les manifestants qu’il espère déployer sur le pavé parisien ce mardi 14 juin. « Nous avons un problème avec les patrons des compagnies d’autobus, qui ne veulent pas mettre à disposition des cars pour les manifs », a-t-il confié au Parisien. Cela risque de ne pas être mieux avec les trains. La journée de mardi promet d’être le point d’orgue de la mobilisation avec une manifestation unique à Paris, organisée à l’appel de sept syndicats dont, bien sûr, la CGT.

Gâchis

Tout cela peu paraître surnaturel, ou au mieux exotique, aux yeux des millions de fans étrangers venus assister à l’Euro 2016 de football. Cela ne trouble pas le numéro un de la CGT. Interrogé samedi en marge d’un rassemblement sur un site pétrochimique, il a assuré que « faire la fête et poursuivre le dialogue social » n’était pas « antinomique ».

Ce qui est peut-être plus étrange, c’est de considérer ce qui se passe aujourd’hui comme une forme de « poursuite du dialogue social ». On sait bien depuis Clausewitz que la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens, mais il n’est pas interdit de penser qu’il s’agit aussi du symptôme d’une incapacité de la France à concevoir la négociation dans des formes plus apaisées que la confrontation violente.

C’était justement l’un des objets de la loi El Khomri de vouloir institutionnaliser ces discussions à l’intérieur de l’entreprise, au plus près des acteurs concernés. Le paradoxe actuel est que ces accords d’entreprise que la loi entend favoriser sont déjà largement possibles, et pourtant très peu utilisés. Dans une communication récente de l’Ecole d’économie de Paris (PSE), l’économiste Thomas Breda constate que « seuls 10 % des établissements d’entreprise qui peuvent légalement signer des accords le font effectivement ».

Pourquoi ? Essentiellement parce que dans les deux tiers des établissements où il devrait y avoir des délégués syndicaux pour négocier, il n’y en a pas. Et, dans le reste des entreprises, les négociations échouent ou n’ont pas lieu. On retrouve ici la difficulté de la société française à développer une culture, et une organisation, de la discussion en lieu et place du pur rapport de force. Un travers que l’on retrouve aussi dans les négociations interentreprises, notamment entre grands groupes et PME. L’affrontement plutôt que le contrat ou le compromis.

La loi El Khomri tente justement de répondre à certaines de ces questions, notamment en matière de représentation syndicale dans les PME. Mais, paradoxe suprême, cette loi sur le dialogue est aussi la caricature d’une décision élaborée… sans dialogue, puis bricolée au gré des rapports de force qui se sont exprimés. Un gâchis qui devrait servir de leçon.