Chaque année, l’Afrique perdrait près de 1,6 milliard d’euros. De quoi financer l’éducation dans 14 millions d’écoles primaires, améliorer le système sanitaire pour 8 millions de personnes ou encore rendre l’eau potable à 21 millions d’Africains, note un rapport de l’ONG britannique Overseas Development Institute (ODI) publié en avril 2014.

La cause ? Une super-taxe sur les transferts d’argent à destination de l’Afrique subsaharienne. 12 % en moyenne contre 7,8 % dans le reste du monde, toujours selon l’ODI.

Pour Kadhy Sakho Niang, présidente du Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (Forim), il devient urgent de faire tomber cette super-taxe qui freine le développement du continent.

Pourquoi les migrants africains sont-ils surtaxés ?

Kadhy Sakho Niang : C’est dû à la faiblesse du système bancaire sur le continent. Beaucoup d’Africains n’ont pas de compte bancaire. Les gros opérateurs de transfert tels que MoneyGram et Western Union en profitent, car ils savent que les migrants n’ont pas d’autres alternatives pour envoyer de l’argent rapidement.

Cette surtaxe encourage aussi les envois informels…

Oui. Certains migrants refusent tout simplement de payer ces commissions, trop élevées. D’autant qu’il y a d’autres frais qu’on n’intègre pas dans le calcul des commissions. Souvent, les récipiendaires des transferts habitent dans des zones reculées. Ils ont parfois une demi-journée de transport et doivent payer le billet de bus pour aller jusqu’à un guichet de retrait. Ils paient quasiment le coût du transfert rien que pour aller chercher l’argent !

Donc certains trouvent des alternatives informelles. Celle de la valise par exemple. Dix ou vingt personnes exilées se regroupent, paient un billet d’avion ou de bus à une personne chargée de transporter et d’aller distribuer l’argent. Ce n’est pas sécurisé. Les destinataires ne voient parfois jamais la couleur de l’argent et le transporteur peut être braqué par des coupeurs de route. Il faut sensibiliser les populations sur ce sujet et encourager d’autres méthodes, plus efficaces.

Comment ?

Au Forim, nous organisons des sessions d’éducation financière. C’est primordial, car nous manquons de planification financière. Nous formons les têtes de réseau de la diaspora africaine sur les transferts d’argent, en leur expliquant pourquoi il vaut mieux utiliser tel canal plutôt qu’un autre, comment planifier les besoins mensuels pour ne plus être obligés d’envoyer de l’argent en urgence et donc à des taux plus élevés.

Il y a aussi beaucoup de start-up qui ont créé des systèmes de transferts d’argent en ligne, sur mobile. Est-ce mieux ?

Oui, car les taux qu’ils pratiquent sont moins élevés. Tous ces nouveaux systèmes peuvent influencer les décideurs et les opérateurs à aller vers une réduction des coûts.

En 2013, le G8 s’était fixé comme objectif de ramener à 5 % les commissions sur les transferts à destination de l’Afrique subsaharienne d’ici à 2014. Force est de constater que c’est un échec. Pourquoi ?

La Banque mondiale dit « je veux faire baisser les commissions », le G8 dit la même chose. La volonté politique est là, mais sans mesures incitatives, sans accompagnement ni pouvoir de coercition, ça ne marchera pas. Mais nous sommes sur la bonne voie. Les organisations de la société civile veillent.

En juillet 2015, j’étais au sommet d’Addis-Abeba, en Ethiopie, pour réfléchir à la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD). Avec d’autres membres de la société civile, nous avons fait un plaidoyer pour que la baisse des coûts des transferts figure dans ces ODD. Ça a marché. D’ici à 2030, les frais sur les transferts d’argent ne devront pas dépasser 3 % du montant envoyé.

Quelles autres solutions peuvent être mises en place ?

Lorsque les coûts des transferts baisseront, nous pourrions, par exemple, créer un fonds d’investissement qui servirait à construire des hôpitaux et des infrastructures donnant de l’emploi aux jeunes et aux femmes.

D’ici là, que faire ?

Monter des projets pour optimiser l’argent envoyé, qu’il serve à créer de la richesse. Il ne suffit pas de faire baisser les coûts des transferts. Nous avons monté un projet dans ce sens, en partenariat avec la Banque africaine de développement (BAD). Trois pilotes seront montés au Sénégal, en Mauritanie et au Mali, d’ici à 2017. C’est un modèle d’argent transformé en biens de consommation (cash to goods). Au lieu d’être retiré en liquide, l’argent envoyé est utilisé pour acheter des denrées alimentaires issues de l’agriculture locale, produites par de coopératives de femmes, par exemple. L’objectif est d’encourager la consommation locale et de créer de l’emploi. Il s’agit de trois projets pilotes, mais, à terme, ce système pourrait être utilisé à l’échelle nationale pour que les transferts d’argent ne servent pas à enrichir les opérateurs, mais plutôt à lutter contre la pauvreté.