Papillon Belle Dame sur un buddleia dans le nord de la France. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

A l’occasion de la fête de la Nature, qui s’achève dimanche 22 mai, le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) célèbre les dix ans de son observatoire de sciences participatives des papillons. Depuis 2006, 10 035 volontaires ont fourni des données sur 1 519 710 papillons, dans près de 12 000 jardins, donnant matière à cinq études scientifiques.

Anne Dozières est codirectrice de Vigie nature — un réseau d’observatoires citoyens de la biodiversité ordinaire, piloté par le MNHN et l’association Noé, qui s’intéresse aux papillons mais aussi à la flore commune, aux plantes sauvages des rues, aux libellules, aux escargots, aux bourdons, aux insectes pollinisateurs, en photos, aux orthoptères (sauterelles, grillons et criquets), en sons, aux oiseaux communs ou aux chauves-souris.

Quelle est la fiabilité des observations de papillons par des amateurs ?

Anne Dozières : L’observatoire des papillons est le premier observatoire à destination d’un public amateur en France. Au départ, la communauté scientifique a émis des doutes quant à la validité de ces données. Mais au bout de dix ans de sciences participatives, il est acquis que les citoyens peuvent récolter des données de qualité, qui permettent d’enrichir les sciences écologiques et de mieux comprendre les menaces qui pèsent sur la biodiversité.

Ces données sont proches de celles recueillies par des lépidoptéristes [les spécialistes des papillons], et dessinent les mêmes évolutions des populations d’insectes que celles observées par les connaisseurs. Mais leur principal point fort, c’est leur quantité, qui donne une grande puissance de calcul statistique. Cela permet d’écarter les informations improbables, et de gommer en partie les erreurs. Et comme le protocole d’observation est le même partout et depuis le début, la marge d’erreur est semblable entre les différentes régions et d’année en année, ce qui nous permet de faire des comparaisons dans l’espace et dans le temps.

L’intérêt, pour les 1 500 à 3 000 personnes qui envoient chaque année des données, est aussi éducatif. L’immense majorité des observateurs n’a pas de connaissances sur les papillons, et a le sentiment d’avoir appris quelque chose sur la nature qui l’entoure. Cela leur permet aussi de mieux percevoir le lien entre les pratiques de jardinage, notamment l’usage de pesticides, et l’état de la biodiversité autour de chez eux. Surtout, ils deviennent des acteurs, plutôt que de subir un discours culpabilisant.

Quels principaux enseignements tirez-vous sur les populations de papillons en France ?

L’observatoire a permis de publier cinq études, avec des données statistiquement très riches, auxquelles les scientifiques n’avaient pas eu accès, puisqu’elles sont recueillies dans les jardins de particuliers. Une de ces études montre l’impact négatif de l’usage d’insecticides, mais aussi, de manière indirecte, d’herbicides, sur les populations de papillons et de bourdons dans les jardins [à l’inverse, l’usage de bouillie bordelaise, de fongicides ou d’antilimaces favoriserait leurs populations, selon cette étude d’Audrey Muratet et Benoît Fontaine, parue en 2015 dans Biological Conservation].

Nous avons aussi appris, qu’en ville, les papillons préfèrent les plantes ornementales exotiques, particulièrement présentes dans les jardins ou les squares. Et pourtant, les papillons souffrent de l’urbanisation. Ce ne serait donc pas à cause du manque de ressources alimentaires pour les adultes, mais plutôt du manque de plantes qui nourrissent les chenilles, comme les orties, dont dépendent largement les larves de papillon comme le vulcain ou le paon du jour [étude du MNHN, de l’association Noé, et de la Fondation Nicolas-Hulot, parue dans Landscape and Urban Planning en 2010].

Un autre facteur joue énormément : c’est la fragmentation de leur milieu. Les populations de papillons des prairies ont décliné de moitié ces vingt dernières années en Europe, principalement à cause de la modification de leurs habitats. En ville, où les espaces naturels sont réduits et isolés, les espèces les plus mobiles sont plus présentes. Certains papillons peuvent se déplacer facilement, comme la belle-dame, qui migre chaque année de l’Afrique du Nord à l’Europe du Nord ; d’autres moins, comme le cuivré commun. [Selon Vigie nature, les espèces montrant de fortes capacités de dispersion, comme les piérides, le paon du jour ou la petite tortue, composent l’essentiel des communautés de papillons en milieu urbain]. [Etude du MNHN et du CNRS, parue sur PLOS One en 2010].

Comment favoriser l’essor des papillons dans son jardin ou sur son balcon ?

Pour les papillons qui ont une faible capacité de dispersion, justement, il est intéressant de laisser des friches, des zones plus sauvages, en ville mais aussi dans son jardin. On peut préserver un espace que l’on tond moins souvent, et surtout pas au printemps, quand les plantes sont en fleur. On a calculé un indice de naturalité dans les jardins des observateurs : plus celui-ci est important, plus les papillons sont présents.

Ils aiment les plantes à nectar, comme la lavande, mais il faut aussi penser aux chenilles, avec les orties ou les graminées. Même sur les balcons, un peu de végétation aidera les papillons des villes. La chenille du brun du pélargonium, par exemple, se nourrit des géraniums, notamment dans les jardinières. L’usage des pesticides est aussi à éviter !

Dans le cadre de la fête de la Nature 2016, des ateliers « Opération papillons » seront proposés samedi 21 et dimanche 22 mai au jardin des Plantes, à Paris. Balade guidée par un entomologiste dans la vallée du Gardon (30) ; journée dans les Calanques avec le Théâtre du Centaure (13) ; conférence sur les étonnantes capacités cognitives des oiseaux dans le Queyras (05)... Plus de cinq mille manifestations gratuites sont au programme de cette fête de la Nature jusqu’à dimanche.