Pour permettre ces tests de dépistage sur des mineurs, il faudra un accord des parents et de l’enfant. Les proviseurs eux-mêmes estiment ne pas avoir le pouvoir de faire pratiquer ces tests. | Darryl Dyck/AP

Bientôt midi vendredi 20 mai rue de la Vistule, dans le 13e arrondissement de Paris. Une odeur de cannabis masque le fumet de cuisine asiatique qui flotte dans l’air à l’approche du déjeuner. Les portes du Lycée Gabriel-Fauré viennent d’ouvrir, des petits groupes d’élèves se sont formés, le papier Rizla + passe de main en main et des volutes se perdent dans le feuillage des marronniers. A quelques pas, deux gardiens de la paix verbalisent des véhicules en stationnement gênant, sans prêter attention aux lycéens.

La veille au soir, le conseil régional d’Île de France a adopté une proposition portée par sa nouvelle présidente, Valérie Pécresse (Les Républicains), de financer des tests salivaires de dépistage de drogue et des éthylotests pour les lycéens franciliens. « Non ! » s’exclament Inès, Baptiste, Fakouri et leurs amis lorsqu’on leur annonce la nouvelle.

Quelques secondes de sidération et une question fuse : « Mais pour quoi faire ? » Réponse officielle : lutter contre les addictions, « source de décrochage scolaire », selon l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur de Nicolas Sarkozy.

Y-a-t-il des adeptes de la « fumette » parmi ces jeunes ? « Non ! », clament-ils unanimement, entre éclats de rire et coups de coude dans les côtes du voisin. A les croire, ce sont les autres qui consomment, largement, aux abords même du lycée. « 60 % des élèves fument », estime, au doigt mouillé, Baptiste ; « 80 % », selon Inès, qui précise que « cela dépend des classes ». Elle estime que les élèves de terminale ralentiraient leur consommation à l’approche des épreuves du baccalauréat.

Le projet de l’exécutif régional laisse également les élèves plus que dubitatifs devant les élégantes portes lambrissées du lycée Fénelon, dans le 6e arrondissement. Et Guillaume, Ilyas et Constant en rient même franchement : « Les élèves qui décrochent, ils ne le font pas à cause du cannabis, ce n’est qu’une conséquence de leurs difficultés personnelles. » Et la bande d’acquiescer avant de se déclarer, dans un haussement d’épaules, favorable à la légalisation. « Ce n’est pas une drogue très dangereuse, c’est plutôt festif », juge Fanny.

Le danger c’est l’ecstasy

Aucun des lycéens interrogés ne comprend la façon dont le contrôle salivaire pourrait convaincre de cesser de consommer : « Ça ne va rien changer, les gens trouveront toujours un moyen de fumer ou d’éviter les tests », soupire Louise en secouant sa queue-de-cheval.

Cette élève de terminale littéraire est néanmoins plutôt favorable à davantage de prévention. « Des vidéos chocs comme dans les campagnes de sécurité routière, pourquoi pas, concède-t-elle, appuyée par son amie Eva. Mais ce qui nous inquiète, c’est plus la “D” [diminutif de MDMA, ecstasy] que prennent certains de nos amis de façon régulière, plutôt que les pétards fumés de temps en temps. »

Est-ce qu’un contrôle salivaire dans les lycées peut être dissuasif ? Le « non » de Sofia, Carole et Cindy, élèves de seconde au lycée Rodin, dans le 13e arrondissement est également unanime. « Est-ce que révéler à leur famille que des personnes sont accrocs à la cigarette leur ferait changer d’attitude ?, questionne Carole. Ils se feront engueuler. Mais ne changeront rien. »

Fumer de l’herbe c’est « faire style, se donner un genre plutôt déjanté, c’est faire comme tout le monde et surtout les célébrités », analyse Inès. Et, pour elle, ce n’est pas un domaine sur lequel l’établissement scolaire a son mot à dire. « Le lycée ne doit pas être géré comme une prison. Il doit rester pour nous un espace de liberté », affirme Baptiste, 16 ans, à Gabriel-Fauré.

Sanctionner le trafic

Pour permettre ces tests sur des mineurs, il faudra un accord des parents et de l’enfant. Les proviseurs eux-mêmes estiment ne pas avoir le pouvoir de faire pratiquer ces tests.

« Il n’y aura pas beaucoup de candidat parmi les jeunes et vous connaissez beaucoup de parents qui enverront leurs enfants dans la merde ? Ils refuseront, c’est obligé », estime Baptiste. « Sauf que la plupart des parents l’ignorent », modère Cindy, du lycée Rodin.

Si les jeunes consommateurs ne changeront pas leurs habitudes, le contrôle « pourrait avoir un rôle dissuasif sur ceux qui n’ont pas commencé », mesure Inès. « C’est vrai, poursuit Fakouri, ceux qui commencent le font en troisième, en seconde c’est tard pour la dissuasion. » Alors, doit-on imaginer des tests salivaires à partir du collège ? « Non. C’est le trafic qu’il faut sanctionner », tranche Baptiste.