Dessin de Séverin Millet. | Séverin Millet

Longtemps, les classes prépas scientifiques, les fameuses math sup et math spé, ont été la voie royale et incontournable pour accéder aux écoles d’ingénieurs. Un autre chemin est désormais possible, et même l’emblématique Ecole polytechnique, vient d’annoncer début juin l’ouverture d’un « bachelor », un diplôme en trois ans accessible après le bac. Ce cursus, qui ne nécessite plus de passer par une classe prépa et par le concours réputé très difficile de l’école, ouvrira à la rentrée 2017. Comme l’X, de nombreuses autres écoles d’ingénieurs réfléchissent à ouvrir ces cursus en trois ans, avec des ambitions différentes.

Recruter la crème de la crème mondiale

Pour l’Ecole polytechnique, l’objectif est double : recruter des étudiants internationaux de haut niveau et retenir les bacheliers français qui pourraient être tentés par des cursus à l’étranger, notamment à l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) et à l’Imperial College (Londres), deux établissements « qui attirent chaque année quelque 800 bacheliers français », selon Jacques Biot, le président de l’école. « Nous voulions reconquérir ces parts de marché et nous aimerions également développer des liens avec les lycées français de l’étranger car chaque année ces bacheliers échappent aux universités et aux classes prépas françaises », développe le président de l’école.

Une stratégie de « conquête » qui doit positionner Polytechnique dans la course mondiale aux meilleurs étudiants

Cette stratégie de « conquête » doit positionner l’école dans la course mondiale aux meilleurs étudiants de premier cycle. Pour faire jeu à armes égales avec les grandes universités, notamment américaines et britanniques, les cours du bachelor seront exclusivement dispensés en anglais et, contrairement au cycle ingénieurs où les élèves polytechniciens bénéficient d’une solde mensuelle, il faudra compter entre 10 000 et 12 000 euros par an de frais de scolarité pour suivre la formation.

Polytechnique n’est pas la seule école à concourir sur le marché mondial du bachelor. Sur le même modèle international, l’Ecole centrale de Nantes proposera elle aussi un « bachelor of science in engineering » sur son campus de l’île Maurice en octobre 2016 pour 7 000 euros l’année. Une offre configurée pour attirer spécifiquement les meilleurs étudiants africains anglophones.

Des diplômes professionnalisant

Toutes les écoles n’ont pas vocation à attirer les étudiants internationaux avec des frais de scolarité élevés. L’Ensam (Ecole nationale supérieure des arts et métiers), par exemple, a fait un choix radicalement différent en créant en 2014 un bachelor de technologie sur ses campus de Bordeaux et de Châlons-en-Champagne. Objectif : diversifier les profils des étudiants et recruter hors du vivier des classes prépas.

« Nous avions des jeunes qui étaient exclus du système prépas/école d’ingénieurs parce qu’ils n’avaient pas le niveau scientifique théorique pour entrer en prépa. Ce cursus à l’Ensam est conçu pour les bacheliers technologiques des filières STI2D (sciences et technologies de l’industrie et du développement durable)qui avaient de l’appétence mais pas le niveau », explique Laurent Champaney, le directeur général adjoint aux formations de l’Ensam. A l’issue de leurs trois ans de formation, à 184 euros l’année, ces étudiants pourront s’insérer sur le marché du travail ou poursuivre leurs études pour décrocher un diplôme d’ingénieur.

« Il faut aussi que les bacheliers professionnels aient des débouchés dans l’enseignement supérieur » françois cansell président de la CDEFI

Cette nouvelle offre de formation à bac +3 est aussi censée coller aux besoins des entreprises françaises. Autant d’opportunités pour les étudiants qui ne veulent pas s’inscrire dans un parcours trop long. Selon le Medef, certaines branches professionnelles, comme la métallurgie ou le numérique, ont besoin de recruter des profils « d’assistant-ingénieurs » qui accompagnent les ingénieurs dans la réalisation des projets et qui ont un bagage technique. « En France, il y a plus de diplômés de bac + 5 que de bac +3. Or nous avons constaté un fort besoin de profils intermédiaires dans certains secteurs, comme l’aéronautique, le numérique », explique-t-on au Medef.

Au sein des écoles d’ingénieurs, des discussions sont en cours sur le choix d’un modèle de bachelor en trois ans, quatre ans, ou même en apprentissage. Les options sont encore ouvertes. « Il faut des fleurons français qui puissent attirer les meilleurs étudiants chinois et indiens, et l’X a l’avantage d’avoir le nom, l’image et les moyens pour le faire, mais il faut aussi que les bacheliers professionnels aient des débouchés dans l’enseignement supérieur parce qu’aujourd’hui seuls les bacheliers généraux ont accès à toutes les filières », analyse François Cansell, président de la conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi).

Bachelor = licence ?

En attendant un arbitrage, les bachelors se multiplient dans les écoles d’ingénieurs. Que vaut ce diplôme si chaque école y met ce qu’elle veut ? Quelles garanties auront les étudiants si l’Etat ne reconnaît pas leur formation ? Le bachelor est-il équivalent à une licence ? Pour le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, « le bachelor peut être un peu tout et n’importe quoi. Historiquement c’était un diplôme de commerce et de gestion équivalent à bac +3 avec pour finalité une insertion professionnelle. Il y a eu une dérive, et ces diplômes se sont transformés en produits d’appel pour recruter post-bac et ensuite réinjecter ces étudiants dans les programmes grandes écoles. Le phénomène du bachelor en écoles d’ingénieurs est assez récent, mais posera à coup sûr les mêmes questions. D’autant que certaines demandent déjà la reconnaissance du grade licence. » Le ministère a déjà commencé à étudier la demande de l’Ensam en ce sens.

Pour l’instant, ces bachelors restent des diplômes d’établissements qui n’ont pas valeur de diplôme d’Etat. « Le bachelor de l’X a le tampon de l’école, mais pas la Marianne de la République », conclut le ministère.