Emmanuel Macron, à l’Assemblée nationale, le 17 mai. | ERIC FEFERBERG / AFP

Lorsque, début 2015, Emmanuel Macron était venu présenter devant les députés son projet de loi pour la croissance et l’activité, il bénéficiait encore de l’avantage de la nouveauté et de la curiosité. La majorité du groupe socialiste de l’Assemblée nationale s’efforça, tout au long des travaux en commission et de l’examen en séance, d’épauler le novice qui effectuait ses premiers pas dans l’arène politique et de l’aider à déjouer les embûches. Même si, à l’arrivée, ce fut un 49.3 qui ponctua les débats.

Privé d’une loi « Macron 2 » – le projet sur les « nouvelles opportunités économiques » qu’il avait mis en chantier –, le ministre de l’économie a dû se contenter de voir certaines de ses propositions intégrées soit dans le projet de loi sur la réforme du travail porté par Myriam El Khomri, transmis au Sénat après avoir été adopté sans vote en première lecture au Palais-Bourbon, soit dans le texte de Michel Sapin sur la transparence de la vie économique, dont l’examen en commission a débuté mardi 17 mai à l’Assemblée nationale. Et c’est précisément la partie dont M. Macron est l’auteur dont la commission des affaires économiques était saisie.

« Séparer le bon grain de l’ivraie »

Entre-temps, le ministre de l’économie s’est émancipé, a créé son propre mouvement, En marche ! et il a pu constater qu’il n’avait nulle bienveillance à attendre de la part des députés de la majorité. Deux articles, principalement, ont fait l’objet de sévères critiques. L’article 38, qui prévoyait d’offrir la possibilité au créateur d’une entreprise artisanale de démarrer son activité sans avoir suivi le stage préalable à l’installation auprès d’une chambre des métiers et de l’artisanat. L’article 43, qui édulcore les exigences de qualification professionnelle pour exercer certaines activités artisanales.

« On retrouve dans ces propositions la même logique que dans la loi croissance et activité, l’idée qu’il faut “déverrouiller” pour libérer l’activité, note le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Dominique Potier (PS, Meurthe-et-Moselle). Mon rôle, c’est de séparer le bon grain de l’ivraie, les vraies bonnes idées et les idées poisons qui viendraient, mine de rien, casser ce à quoi nous tenons. Le risque du texte gouvernemental était de déstabiliser tout le dispositif, de disqualifier les professions artisanales. »

M. Macron a bien tenté de justifier sa démarche. « Les rigidités professionnelles créent des barrières à la création d’emploi. Il faut aider à l’adaptation de notre économie, développer les potentialités pour les emplois faiblement qualifiés, faciliter le développement et la création d’entreprise », a soutenu le ministre, s’attirant en retour une volée de bois vert. « Au lieu d’opposer “insiders” et “outsiders”, il vaut mieux organiser des transitions plutôt que des fractures », a mis en garde M. Potier.

« Hypocrisie manifeste »

« Votre conception très moderne du dialogue social, la souplesse que vous faites entrer dans votre texte risquent de tirer vers le bas beaucoup de métiers qui exigent de la qualification », a estimé André Chassaigne (PCF, Puy-de-Dôme), soulignant « les effets pervers de cette forme de libéralisation de certains métiers ». Pour Damien Abad (LR, Ain), « la baisse de la courbe des exigences n’entraîne pas forcément celle de la courbe du chômage ». Frédérique Massat (PS, Ariège), n’y est pas allée par quatre chemins. « Vous le voyez, Monsieur le ministre, l’écriture du texte telle qu’elle est ne convient pas, a résumé la présidente de la commission des affaires économiques. Nous ne sommes pas là pour nous opposer de manière dogmatique, nous ne sommes pas contre vous mais nous sommes prêts à retravailler ce texte, car nous devons apaiser ce monde économique artisanal pourvoyeur d’emploi et de salariat dans nos territoires. »

Un dialogue parfois tendu. M. Macron n’a pu s’empêcher de laisser percer une pointe d’agacement. « Nous sommes aujourd’hui dans une hypocrisie manifeste, a répondu le ministre à ses interlocuteurs. Penser que l’on ne peut en rien infléchir les règles du registre des métiers relève d’une forme de distance avec le réel. » La commission a néanmoins largement réécrit les deux articles contestés, en adoptant des amendements du rapporteur sur les stages de préparation à l’installation, la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour l’accès à certaines activités sous le statut d’« homme toutes mains » ou sur l’encadrement des obligations de qualification.

« Il y avait une tentation très forte du groupe de garder les choses en l’état. J’ai voulu éviter une confrontation du type libéral contre conservateurs, organiser une passerelle entre l’économie informelle et le monde de la qualification, sans disqualifier le monde de l’artisanat, explique M. Potier. Maintenant, si cette ligne-là n’était pas suivie en séance, je ne donne pas cher des propositions du ministre. J’y veillerai. » Voilà M. Macron prévenu.