C’est au Tchad que le premier d’entre eux devrait être formé sous la dénomination de « gouvernement de salut public ». Juste après l’investiture, le 8 août, du président Idriss Déby Itno, réélu dès le premier tour de la présidentielle du 10 avril avec près de 61,56 % des voix, selon des chiffres officiels.

Les adversaires du président tchadien, également président en exercice de l’Union africaine (UA), contestent sa victoire et soutiennent, sur la base de leur propre décompte des suffrages, que c’est le chef de file de l’opposition, Saleh Kebzabo, qui est arrivé en tête du premier tour avec 33,15 % des voix.

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Ils ajoutent que le candidat de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) est suivi de près par Laoukein Kourayo Mbaïheurem, candidat de la Convention tchadienne pour la paix et le développement (CTPD) et maire de Moundou, la deuxième ville du pays qui a obtenu 25,82 % des voix.

A en croire la compilation non officielle du vote, la troisième marche du premier tour revient à Mahamat Ahmad Al-Habo, du Parti pour les libertés et le développement (PLD), fondé par le célèbre opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu le 2 février 2008 à N’Djamena, dans des circonstances jamais élucidées.

Le « G6 » tchadien

L’opposition tchadienne entend donc tirer les conséquences de sa « victoire » en formant son « gouvernement de salut public » qui inclurait, outre des cadres de l’UNDR, du CTPD, du PLD, des représentants des candidats à la présidentielle Gali Ngothé Gatta, Brice Mbaïmon Guedmbaye et Joseph Djimrangar Dadnadji. L’équipe gouvernementale devrait être élargie à des personnalités de la société civile et aux Tchadiens de la diaspora.

De bonnes sources, on précise qu’un groupe d’experts est à pied d’œuvre pour finaliser les contours de ce projet puis soumettre ses propositions aux six candidats qui contestent toujours la victoire du président Idriss Déby et se sont regroupés dans un cadre appelé « G6 ».

Sur le continent, l’opposition tchadienne n’est pas la seule à être tentée par le projet de former un exécutif parallèle tantôt dénommé « gouvernement alternatif », tantôt « gouvernement de salut public » ou « gouvernement en exil ».

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Après avoir contesté dans la rue et dans les médias la victoire du président Denis Sassou-Nguesso lors de la présidentielle du 20 mars, certains opposants congolais réfléchissent désormais ouvertement à la possibilité de mettre en place un « gouvernement en exil ».

Des contacts ont été engagés dans la diaspora congolaise en France pour préciser le format et le profil de ce gouvernement alternatif à celui du premier ministre Clément Mouamba. Mais, comme rien n’est jamais simple dans la vie politique congolaise, on s’orienterait plutôt vers la formation d’au moins deux à trois gouvernements parallèles !

L’idée avait également semblé séduire l’opposition djiboutienne après les législatives de 2013 qu’elle prétendait avoir remportées alors que le régime du président Ismaël Omar Guelleh ne lui avait finalement laissé que dix sièges de députés sur soixante-cinq. A l’instar du Tchad et du Congo, cette initiative repose à Djibouti sur le refus d’« une victoire usurpée ».

Gare au retour de la manivelle

Derrière la tentation du gouvernement point aussi la contestation de « coups d’Etat électoraux » et la dénonciation de la longévité au pouvoir : Idriss Déby Itno totalise vingt-cinq années de règne, Denis Sassou-Nguesso trente-deux années et Ismaël Omar Guelleh dix-sept années.

Pour louable qu’il paraisse dans des pays privés d’alternance politique, le projet de gouvernement parallèle n’en comporte pas moins des limites et des risques politiques.

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En effet, rien n’indique, à ce stade, que les opposants pourront, au Tchad, au Congo ou à Djibouti, susciter le ralliement d’institutions régaliennes (armée, police, justice) et avoir le contrôle des régies financières (fisc, trésor, douanes). En clair, avoir la mainmise sur le nerf de la guerre.

Nul besoin d’être prophète pour affirmer qu’au Tchad, au Congo et à Djibouti l’armée, la police, la douane et les régies financières choisiront de rester loyales aux présidents contestés. Leur position est d’autant plus facile à comprendre que, dans ces pays-là, le choix des patrons d’institutions régaliennes repose sur des considérations autres que le profil et la compétence.

En atteste le cas du Congo, où Jean-Dominique Okemba, neveu de Denis Sassou-Nguesso, règne sur le renseignement tandis que son fidèle le général Jean-François Ndenguet est patron de la police nationale depuis près d’une quinzaine d’années. Même situation au Tchad, où Mohamed Ahmat Fadoul, gendre d’Idriss Déby, commande l’armée de l’air alors que le propre fils du président tchadien, Mahamat Idriss Déby, est à la tête de la garde présidentielle.

Toutefois, pour les opposants tchadiens, congolais et djiboutiens, le plus grand risque serait d’offrir aux pouvoirs en place, à travers l’idée du gouvernement parallèle, le prétexte idéal d’une répression implacable. Avec l’accusation fourre-tout « d’atteinte à la sûreté de l’Etat » ou de « trahison », les autocrates pourraient décapiter leurs oppositions.

C’est l’acte qu’a posé, le 13 mai, le président ougandais Yoweri Museveni en jetant en prison son principal opposant, Kizza Besigye, jugé coupable d’avoir organisé « une prestation de serment alternative ».

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur d’Entretiens avec le professeur Boubakar Ba. Un Nigérien au destin exceptionnel, L’Harmattan, 2015.