En Inde, la mousson est attendue chaque année avec joie et anxiété. Elle libère de la chaleur étouffante de l’été mais décide du sort de centaines de millions de paysans, et au-delà, du niveau de croissance du pays. Mercredi 8 juin, le département météorologique indien (IMD) avait une bonne nouvelle à annoncer à la nation : la mousson est arrivée, et elle devrait être plus « abondante que la normale ». Les paysans ont eu raison de marier des grenouilles par centaines, ou de déclamer au ciel des chansons d’amour.

Les pluies vont d’abord arroser les champs de café, de thé et de caoutchoutiers du sud du pays avant de se déplacer vers les rizières de l’est, les cultures d’oléagineux du centre et enfin les champs de coton de l’ouest. La moitié de la production agricole du pays est semée entre les mois de juin et septembre. Après deux années décevantes et une sécheresse qui a frappé le pays en début d’année, les agriculteurs espèrent de fortes précipitations.

A cette saison, les bulletins météorologiques sont scrutés avec autant d’attention qu’une annonce de la Banque centrale. Dans un pays où seulement la moitié des terres sont irriguées, et où le niveau des nappes phréatiques diminue dangereusement, les pluies sont cruciales. L’agriculture contribue à hauteur de 15 % au PIB indien et fait vivre 60 % de la population.

Statu quo

A chaque publication d’un bulletin de prévision, des SMS sont envoyés à des millions d’agriculteurs pour qu’ils adaptent leurs semences en fonction du niveau des précipitations, et les traders se ruent pour acheter ou vendre les titres des entreprises concernées. En l’occurrence, ce sont surtout les fabricants de deux-roues, d’engrais et de produits de grande consommation, très présents dans les zones rurales, qui dépendent de la mousson. La demande en or, l’un des rares outils d’épargne disponibles dans les villages, connaît aussi de fortes fluctuations. A elle seule, la mousson peut faire varier la croissance du PIB indien de 0,5 point.

On comprend mieux pourquoi Raghuram Rajan, le gouverneur de la Banque centrale indienne, a préféré, mardi 7 juin, maintenir le statu quo sur les taux d’intérêt directeurs. Mieux vaut attendre quelques mois, le temps de vérifier que les bonnes prévisions météorologiques se confirment, avant de prendre une décision. Deux chiffres influencent en effet la politique monétaire du pays : le taux d’inflation et le niveau de la mousson.

D’où l’importance de faire de bonnes prévisions. Mais l’exercice est délicat tant les paramètres sont nombreux : température à la surface de la mer, vitesse et direction des vents. Le pays a annoncé qu’il allait investir 60 millions de dollars dans un « super calculateur » pour améliorer le pronostic. Or même avec la meilleure technologie du monde, Madhavan Nair Rajeevan, le directeur de l’IMD admet que seul « Dieu a la capacité de comprendre entièrement » la mousson. Voilà pourquoi le dieu de la pluie, Indra, est l’un des plus révérés du pays. Surtout par les ministres de l’économie et des finances.