Benoît Falaize, historien, évoque les sujets d’histoire sur lesquels les bacheliers ont été amenés à plancher cette année.

Proche et Moyen-Orient, histoire et mémoires de la seconde guerre mondiale ou de la guerre d’Algérie… On a le sentiment que l’épreuve d’histoire du baccalauréat 2016, organisée jeudi 16 juin, a été non seulement ardue mais sensible. Est-ce le cas selon vous ?

Au moins on ne pourra pas dire que les sujets sont déconnectés de l’actualité et des préoccupations de tous. La question sur le Proche et Moyen-Orient est effectivement très difficile, du fait de sa vivacité dans les débats publics, mais aussi parce que le consensus scientifique reste encore largement à faire. Concernant les mémoires, ce n’est pas le même registre de difficultés. Là, les enseignants ont pu préparer les élèves à l’évolution des enjeux de mémoire depuis la fin de la seconde guerre mondiale ou depuis les accords d’Evian.

L’acuité des questions tient à leur nature : l’extermination des juifs, dont la mémoire est objet de débats réguliers, et la fin de la guerre d’indépendance algérienne, avec tous les enjeux mémoriaux liés à la dimension postcoloniale de cette question.

Voilà des thématiques dont on dit qu’elles font régulièrement débat en classe. Que les professeurs, pas toujours bien formés, peuvent se sentir démunis face aux questionnements qu’elles soulèvent chez les élèves. Les choisir pour le bac, est-ce faire preuve d’audace ?

Ne pas les prendre comme sujets de baccalauréat reviendrait à accepter qu’une partie des programmes ne doit pas faire l’objet d’une évaluation, ce qui n’est pas possible. Ce serait aussi considérer que certains sujets ne sont pas analysables par les élèves qui entrent dans l’âge adulte. Que ne dirait-on pas si ces sujets n’étaient soumis à aucune évaluation aussi symbolique que le bac ? Qu’il s’agit de sujets occultés, niés ? Reconnaissons au contraire le fait que ces sujets sensibles, sur lesquels la plupart des enseignants aujourd’hui sont formés ou se forment, sont désormais traités, enseignés, dans les manuels scolaires et objets d’examens nationaux.

En trente ans, le travail a été remarquable de ce point de vue, même si certains sujets pourraient encore sans doute faire l’objet de développements scolaires plus soutenus. Il n’y a donc pas d’audace particulière, sinon peut-être celle qui veut faire réfléchir les élèves, les amener à considérer le monde avec un esprit critique et distancié, afin de les extraire des idées toutes faites. C’est le rôle de l’école : faire advenir des adultes qui ont compris la complexité du monde, de son histoire et de l’actualité qu’ils vivent.

Les terminales L et ES ont eu à choisir entre soit les mémoires de la guerre d’Algérie, soit celles de la seconde guerre mondiale. Or chaque enseignant était libre pendant l’année scolaire de choisir d’étudier l’une ou l’autre de ces deux thématiques…

Il semble que les enseignants soient plus à l’aise dans l’histoire des mémoires de la seconde guerre mondiale et qu’un nombre moins important s’engage dans les questions mémorielles de la guerre d’Algérie. Cela reste à vérifier par des enquêtes. En soi, cet écart est intéressant. Mais le jour de l’examen, les élèves savent choisir immédiatement au moment de lire l’énoncé de l’examen.

On oppose souvent le travail de mémoire à celui de l’historien. Quel est, ici, l’objectif ? Autrement dit, quelles sont les attentes des correcteurs ?

Il s’agit d’engager les élèves dans une démarche historienne en faisant œuvre d’histoire, en portant un regard lucide et informé sur les évolutions qu’ont pu prendre les enjeux de mémoire sur ces deux sujets. Parler de la mémoire d’une guerre, ce n’est pas faire œuvre de « devoir de mémoire », ou porter un regard mémoriel sur les événements. C’est au contraire montrer aux élèves la plasticité et la multiplicité des représentations d’une société ou de segments de société au sujet d’un événement traumatique. C’est donc réfléchir en historien, ou, si l’on préfère, avec le recul de l’histoire, pour comprendre comment s’organisent et s’actualisent sans cesse les mémoires d’un événement historique.

Quelle est la place de ces sujets dans les programmes ?

La seconde guerre mondiale, les guerres de décolonisation et les nouvelles conflictualités du XXe siècle sont enseignées dans les séries générales en classes de 1re, et la question des mémoires au début du programme de terminale, avec le Proche et le Moyen-Orient présentés comme « un foyer de conflits ». En classe de terminale STMG, on les aborde via le rôle du pétrole au Moyen-Orient, à cheval entre l’histoire et la géopolitique. En terminale ST2S, c’est l’Algérie de 1954 à 1962 qui est étudiée.

S’invitent-elles régulièrement dans les épreuves ?

De plus en plus régulièrement, et on peut s’en réjouir. Disons que cette année a été une année où tous les sujets sensibles se sont rencontrés… Ce sont les sujets de notre société. Des sujets d’étude qui rendent ces passés particulièrement présents à notre contemporanéité.