France's Paul Pogba leaves the pitch during the Euro 2016 Group A soccer match between France and Romania, at the Stade de France, in Saint-Denis, north of Paris, Friday, June 10, 2016. (AP Photo/Michael Sohn) | Michael Sohn / AP

Le répit fut de courte durée. Synonyme de qualification pour les huitièmes de finale de l’Euro, la victoire (2-0) acquise dans la douleur par les Bleus contre l’Albanie, mercredi 15 juin, à Marseille, aurait dû apporter un peu de sérénité au sein de la délégation tricolore. Las. Confronté à une litanie de forfaits lors du stage de préparation, accusé par Karim Benzema « d’avoir cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en ne le retenant pas pour le tournoi quelques jours avant le début de « leur » Euro, le sélectionneur des Français, Didier Deschamps, doit faire face à une nouvelle polémique avant le match prévu contre la Suisse, dimanche 19 juin, à Lille.

C’est un geste équivoque du milieu Paul Pogba, effectué dans les arrêts de jeu du match face à la formation des Balkans, qui a tout déclenché. Au terme de la rencontre, un journaliste de la chaîne BeIN Sports – qui a acheté à l’Union des associations européennes de football (UEFA) les droits de retransmission du tournoi – poste sur Twitter une capture d’écran. On y voit le milieu des Bleus et de la Juventus Turin, entré en jeu à la mi-temps, faire ce qui pourrait s’apparenter à un bras d’honneur après le deuxième but de sa formation inscrit par Dimitri Payet.

Le mystérieux Tweet a été depuis supprimé et aucune séquence filmée n’avait été diffusée jusqu’à ce que la chaîne belge RTBF mette en ligne, jeudi 16 juin, la vidéo controversée. Sans que ce document ne permette d’affirmer s’il s’agit ou non d’un geste injurieux. La scène a toutefois suscité un vaste débat sur les réseaux sociaux. Une interrogation planait au gré des échanges : mécontent des critiques qui s’étaient abattues sur lui après sa prestation ratée lors du match d’ouverture contre la Roumanie le 10 juin, Pogba aurait-il adressé un bras d’honneur aux journalistes massés en tribunes de presse ?

« Charte éthique »

Susceptible d’alimenter l’hystérie médiatique – et parfois politique – qui entoure l’équipe de France depuis la grève du bus de Knysna, lors du Mondial sud-africain de 2010, cette hypothèse a renvoyé aux incartades du milieu tricolore Samir Nasri lors de l’Euro 2012, coorganisé par la Pologne et l’Ukraine. Auteur du but de l’égalisation (1-1) des Bleus lors de leur entrée en lice contre l’Angleterre, le joueur de Manchester City avait mis son doigt sur sa bouche tout en lançant un provocateur « Ferme ta gueule » aux journalistes de L’Equipe, assis en tribunes de presse.

Quelques jours plus tard, après l’élimination (2-0) des Tricolores par l’Espagne en quarts de finale, Nasri avait insulté un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP) après une altercation dans les couloirs de la Donbass Arena de Donetsk (Ukraine). Le Bleu avait été alors suspendu trois matchs par la commission de discipline de la Fédération française de football (FFF). Ces écarts de conduite avaient motivé le sélectionneur Didier Deschamps et Noël Le Graët, le patron de la FFF, à mettre en place, en 2013, une « charte éthique ». Ce code de bonne conduite est placardé sur les portes des chambres des Bleus au château de Clairefontaine (Yvelines).

Sommé de s’expliquer – voire de s’excuser –, Pogba a démenti « fermement » avoir fait un bras d’honneur après que son agent Mino Raiola a demandé aux médias français « d’arrêter avec ces conneries ». « Quelle que puisse être l’interprétation que l’on veut donner des images, je n’ai jamais eu l’intention de manifester, de m’en prendre à qui que ce soit ou de me venger de quoi que ce soit », a déclaré le joueur dans un communiqué transmis à l’AFP. Il assure avoir célébré le « dénouement » du match en se « tournant vers la tribune où [il] savai[t] que se trouvaient [sa] mère et [ses] frères ». « J’ai fait ma sarabande habituelle, bras en l’air et poing levé. Rien de plus, rien de moins », se justifie Pogba. Interrogé en conférence de presse, son coéquipier N’Golo Kanté a assuré n’avoir « pas vu » son geste, trop occupé à fêter le but de Dimitri Payet.

« Responsabilité de journalistes »

De son côté, Florent Houzot, rédacteur en chef de BeIN Sports, a décidé de ne pas diffuser « la vilaine image de Paul Pogba », comme il l’a indiqué à l’ensemble des salariés du groupe dans un mail interne révélé par Lequipe.fr. Contacté par Le Monde, M. Houzot ne cache pas un certain agacement. « Ce n’est pas une image de BeIN, elle ne provient pas d’une caméra isolée de BeIN mais d’une des caméras de l’UEFA, qui l’a mise à disposition de tous les diffuseurs de l’Euro dans le monde », explique-t-il, réfutant toute « censure ». « Ces images proviennent de flux additionnels que l’UEFA fournit et que les diffuseurs visionnent en différé pour alimenter les débriefs d’après-match par exemple. »

« Sur le fond, j’assume pleinement ma décision, renchérit le rédacteur en chef de la chaîne payante qatarie, qui nie toute pression de la FFF. Dans le contexte de l’Euro, nous avons envie de rester positifs, de ne pas créer de polémique inutile. Nous sommes diffuseur et supporteur de l’équipe de France et souhaitons sa victoire. »

Plus profondément, M. Houzot se démarque de choix éditoriaux semblant superficiels ou hâtifs. « Je trouve qu’on va trop vite. Je prends le temps du recul, estime-t-il. Ce n’est pas moi qui vais créer la polémique sans savoir. On parle déjà d’exclusion de Pobga, d’excuses devant la nation… Il faudrait peut-être revenir à des choses plus terre à terre. On a une responsabilité de journalistes. Je ne me permets pas de juger mes confrères mais je demande qu’on respecte ma décision. »

Diffuseur officiel des Bleus et partenaire de la FFF, TF1 n’a pas non plus montré, mercredi, la scène. « Nous n’avions absolument pas connaissance de cette image mercredi soir », affirme la chaîne au Monde, en expliquant qu’au coup de sifflet final, les équipes ont travaillé « dans l’effervescence » à modifier les résumés du match, compte tenu de son dénouement tardif. TF1 a toutefois fini par récupérer l’image dans la journée de jeudi et l’a diffusée lors d’un court sujet consacré à l’affaire dans son journal de 20 heures.

Anelka défend Pogba

Mais Paul Pogba n’a pas que des détracteurs. Des anciens joueurs ont pris sa défense, comme Nicolas Anelka. Dans une vidéo diffusée jeudi soir, l’ancien attaquant des Bleus accable la presse française. « Si vous aimez l’équipe de France, si vous aimez la France et les joueurs, essayez d’aider les joueurs en difficulté, arrêtez de les tailler, quand on aime quelqu’un, on cache ses défauts », lance-t-il entre autres.

Pas sûr que ce joueur sulfureux soit le meilleur avocat pour le Turinois : coupable d’avoir insulté le sélectionneur Raymond Domenech en 2010, ses propos avaient été révélés par L’Equipe ce qui avait plongé les Bleus dans une crise sans précédent. Il avait aussi effectué en 2014 une « quenelle » - un bras tendu vers le bas, l’autre bras replié touchant l’épaule est un geste qui signe la solidarité et l’adhésion au discours de l’ancien humoriste controversé Dieudonné.

En tout cas, ce message a été beaucoup relayé sur Twitter et est à l’origine d’un appel au boycott de L’Equipe qui a fait sa « une » sur le supposé bras d’honneur.