Les règles encadrant les essais cliniques en France vont être renforcées afin de mieux protéger les ­volontaires qui s’y soumettent. La ministre de la santé, Marisol Touraine, en a fait l’annonce lors d’une conférence de presse lundi 23 mai, quatre mois après la mort de Guillaume Molinet, un homme de 49 ans qui participait à Rennes au test de la molécule BIA 10-2474, un médicament antalgique expérimental du labo­ratoire portugais Bial. Un accident « sans précédent », a rappelé Mme Touraine, qui avait également entraîné l’hospitalisation de cinq autres volontaires, tous rentrés chez eux depuis.

La ministre a estimé que le rapport commandé à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) le 15 janvier et officiellement présenté lundi « permet d’établir les responsabilités et d’identifier les manquements qui ont conduit à cet événement ». L’enquête ne retient pas de faute de la part de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui avait donné son feu vert en juin à cet essai. Elle estime en revanche que « l’économie d’ensemble du protocole et la latitude laissée pour sa mise en œuvre n’offraient pas un cadre suffisant pour la protection des personnes participant à l’essai ».

Biotrial, le centre de recherche où a été réalisée l’expérimen­tation, se voit reprocher trois « manquements majeurs » dans la conduite de l’essai et la gestion de la crise. Il est d’abord critiqué pour pas s’être inquiété en temps et en heure de l’état de santé du ­premier volontaire hospitalisé. Autre erreur : ne pas avoir immédiatement arrêté l’administration du produit aux autres bénéfi­ciaires du protocole, manquant ainsi à son devoir de « protection des volontaires ». La responsabilité du CHU de Rennes – où se déroulait l’essai – est écartée.

Il lui est également fait grief de ne pas avoir formellement informé les autres volontaires de ce qui venait de se passer. C’est pourtant ce que prévoient la lettre d’information et le formulaire de ­consentement en cas de « nouvelle information significative qui pourrait affecter leur volonté de poursuivre l’étude ». Le code de santé publique contient également cette obligation.

Troisième manquement majeur : le non-respect du devoir d’information sans délai des autorités sanitaires. L’ANSM n’a été formellement prévenue que le 14 janvier, soit quatre jours après l’hospitalisation de M. Molinet et trois jours après la décision de suspendre l’essai. La réglementation indique pourtant « qu’en cas de fait nouveau de sécurité, le promoteur doit en informer sans délai l’autorité sanitaire ainsi que des mesures prises pour assurer la sécurité des volontaires ».

Le laboratoire Bial se voit pour sa part reprocher son choix « insuffisamment précautionneux » de passer à la dose de 50 mg en doses multiples croissantes. Ces pratiques sont certes « admises » et « les conditions de progression des doses ne contrevenaient pas à la réglementation ». Mais les inspecteurs s’étonnent d’un manque de prudence. « Bial n’a pas jugé nécessaire, compte tenu du niveau de risque qu’il anticipait, de prévoir de précaution particulière pour ­limiter l’exposition simultanée de plusieurs volontaires au produit. Son appréciation peut susciter la discussion. » Lors du passage de la dose de 20 mg à 50 mg, les investigateurs n’avaient par ailleurs pour données que celles de la dose de 10 mg et donc pas d’indication sur le comportement du produit chez les volontaires recevant 20 mg.

Toxicité de la molécule

Dans leurs conclusions publiées le 20 avril, les experts du comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) mis en place par l’ANSM avaient estimé que l’accident mortel était « clairement lié » à la toxicité de la molécule testée. Ils avaient évoqué « une probable accumulation progressive au niveau cérébral » de la molécule, en raison des doses répétées de 50 mg données aux victimes.

Autre point soulevé par Christine d’Autume et Gilles Duhamel, les deux inspecteurs de l’IGAS : le niveau de risque pressenti avec le BIA 10-2474 aurait-il justifié de ­refuser l’autorisation de l’essai clinique de Rennes ? Le comité de protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales (CPP, dont l’avis préalable est indispensable à un essai) Ouest VI de Brest et l’ANSM ont tout deux répondu par la négative.

Mais selon des témoignages et documents cités par Le Figaro et Mediapart, les volontaires participant à l’essai n’ont pas été informés des effets indésirables – neurologiques ou pulmonaires – constatés lors des essais chez l’animal. Ils n’auraient ainsi pas reçu de Biotrial « une information objective, loyale et compréhensible par le sujet », comme le prévoit la loi. Ces documents de Biotrial, ­visés préalablement par Bial, ont été communiqués au CPP et à l’ANSM avant le début de l’essai. Du côté de l’ANSM, on indique qu’il est fréquent que ces formulaires ne fassent pas référence de manière détaillée aux effets indésirables observés chez l’animal. La question reste donc en suspens.

Les inspecteurs de l’IGAS se posent une question de fond, méritant selon eux un « débat public à un niveau international » : celle du « bien-fondé même de l’essai ». Ils s’interrogent sur « la décision d’exposer des volontaires aux risques par définition non totalement prévisibles d’un médicament expérimental », à partir du moment où « la valeur ajoutée potentielle du produit dans l’arsenal thérapeutique pouvait être mise en doute aux yeux de certains experts ». Le protocole du BIA 10-2474 faisait référence à « une panoplie très large de bénéfices thérapeutiques potentiels futurs sans argumenter l’apport spécifique attendu du produit par rapport à d’autres molécules », soulignent les inspecteurs.

Renforcement de la formation

Afin de s’assurer que les « manquements majeurs observés » chez Biotrial ne puissent pas se reproduire, Mme Touraine a demandé au laboratoire de lui fournir d’ici un mois un « plan d’action ». Celui-ci devra contenir des mesures de minimisation des risques et de renforcement de la formation de ses personnels. Faute de quoi, « son autorisation de lieu de recherche pour essai de phase 1 sera suspendue ».

Par ailleurs, tous les centres autorisés à mener des essais cli­niques seront inspectés d’ici à la fin de l’année par les agences régionales de santé (ARS) et l’ANSM. L’agence devra également évaluer de façon plus stricte les essais de phase précoce. Le ministère de la santé annonce enfin que « la loi renforcera les obligations d’information des autorités sanitaires qui pèsent sur le promoteur au moment où il dépose son projet ».

Après les graves accidents lors d’un essai clinique à Londres en mars 2006, de nouveaux référentiels avaient été établis en 2007 par l’Agence européenne du médicament. Mme Touraine va proposer au Comité européen des agences nationales du médicament que les modalités d’évaluation et de gestion d’un accident comme celui de Rennes soient « harmonisées » au niveau européen.