Par Raphaël Cosmidis pour Les Cahiers du football

Pour sa première participation à un Euro, le Pays de Galles s’est brillamment qualifié hier soir en disposant facilement d’une Russie plus décevante que jamais. Vainqueurs 3-0, les hommes de Chris Coleman ont une nouvelle fois pu compter sur leur meilleur joueur, Gareth Bale, pour les porter vers la victoire et la première place du groupe B. Buteur lors de chaque match de poules, Bale a sublimé un collectif dessiné pour lui. Etoile parmi d’autres d’une constellation imaginée par Florentino Perez au Real Madrid, le Gallois est le leader technique de sa sélection. Il y a quelques années, à Tottenham, il jouait pourtant au poste le moins médiatique.

C’est l’histoire d’un pays enfin sorti de l’anonymat footballistique et de la transformation d’un joueur. Promis à une carrière de latéral gauche il y a quelques années, le grand Gareth Bale est né quand il s’est rapproché du but adverse, un soir d’automne à San Siro. Le 20 octobre 2010, Tottenham se déplace à Milan pour y affronter l’Internazionale, champion d’Europe en titre. Malgré la défaite des Spurs (4-3), l’homme du match se trouve bien côté anglais. Frêle, encore indéfinissable, Gareth Bale martyrise la défense interiste et inscrit un triplé. Deux semaines plus tard, à White Hart Lane, Tottenham l’emporte 3-1. Bale donne deux passes décisives, terrorise le flanc gauche et fait passer à Maicon, le latéral droit milanais, la pire soirée de sa vie de footballeur. « Nous savions de quoi il était capable, mais c’était impossible de le contrôler », reconnaîtra l’international brésilien après la rencontre.

Libre dans ses mouvements

Depuis, presque six ans sont passés. Bale n’est plus ce quasi-gringalet doté de superpouvoirs, transposition de Peter Parker sur le rectangle vert. En arrivant au Real Madrid, le Gallois a découvert la musculation. A l’instar de Cristiano Ronaldo avant lui, il a accompagné son ascension sportive d’un travail sur son corps, ajoutant de la puissance à sa vitesse naturelle. Mais le véritable changement a été tactique : considéré autrefois comme un joueur de côté, comme celui qui réhabiliterait les ailiers à l’ancienne (tel Ryan Giggs, son illustre aîné et compatriote, qui n’est jamais parvenu à qualifier le Pays de Galles pour une compétition internationale), Bale, bien aidé par ses entraîneurs successifs, a épousé la trajectoire de l’histoire. Il n’est plus confiné à une aile mais libre dans ses mouvements ; il ne joue plus vraiment à gauche, ni au Real Madrid ni en sélection, mais plutôt dans l’axe ou à droite, ce qui lui permet plus facilement de se mettre sur son bon pied pour frapper, comme beaucoup d’autres attaquants en faux pied, Lionel Messi et Cristiano Ronaldo étant les meilleurs exemples.

Frappes aux paraboles surnaturelles

La saison 2012-2013, sa dernière à Tottenham avant de rejoindre la galaxie madrilène, fut celle de la révolution. Sous les ordres d’André Villas-Boas, Bale, placé dans l’axe avec tout loisir de se balader sur le terrain, inscrit 21 buts en 33 matchs de Premier League. Au menu de ses réalisations, beaucoup de frappes aux paraboles surnaturelles, sans oublier quelques coups francs. Le Gallois a déjà marqué deux buts sur coup de pied arrêté depuis le début de l’Euro. Victimes de son tir si particulier, Matus Kozacik, le portier de la Slovaquie, et Joe Hart, le gardien anglais, ont d’abord semblé coupables : moyennement placés et en retard sur des ballons pas forcément millimétrés, ils ont aussi subi l’accélération du ballon quand il est botté par Bale et s’engage dans cette courbe qui plonge et retombe beaucoup trop vite. La force de Bale est là. S’il est capable de finesse, ce sont ses démarrages de dragster et ses coups de canon qui le caractérisent. Le Gallois, formé en Angleterre, à Southampton, renferme de la dynamite, de la tête aux pieds. Il va très haut dans les airs et tire très fort ; il écarte les adversaires à l’épaule quand il ne les dribble pas. Mais pour faire tout ça, il lui faut une chose : de l’espace.

Pas toujours à l’aise dans les petits périmètres, Bale n’est jamais aussi impressionnant que lorsqu’il peut courir sur de grandes distances. Contre la Russie, il a avalé des kilomètres à la vitesse d’un descendeur parti en échappée sur le Tour de France. La formation de Leonid Sloutski n’a jamais su ni le couper du ballon, ni stopper ses accélérations. Au terme des quatre-vingt-dix minutes disputées au Stadium de Toulouse, Bale compilait huit tirs (dont six cadrés), trois occasions créées, huit dribbles réussis et un but. Il a également amené le deuxième but de son équipe, inscrit par Neil Taylor. À chaque ballon perdu par les Russes, les Gallois trouvaient rapidement Bale plein axe pour conduire les contre-attaques. Les barrages russes, paresseux et aléatoires, n’ont jamais tenu.

Jeu basé sur la contre-attaque

La réussite du Pays de Galles tient évidemment beaucoup au talent de sa star, tout comme la compétition de la Slovaquie repose sur Marek Hamsik ou celle de la Pologne sur Robert Lewandowski. Ces « petites nations » comptent sur leurs vedettes plus que les autres. Elles n’ont pas vraiment de solutions de remplacement ou de plan pour faire autrement. Elles font tout pour mettre en valeur quelques hommes au sein d’une équipe. Le Pays de Galles a superbement accompli cette mission lors du premier tour. Il a adopté un style de jeu basé sur la contre-attaque pour maximiser le rendement de Bale (et d’autres, comme Aaron Ramsey, le milieu d’Arsenal) et densifié le cœur du jeu pour le libérer des contraintes défensives.

Il y a deux ans, à la Coupe du monde 2014, une autre équipe, plus réputée, avait déjà emprunté cette voie. Orphelin de Kevin Strootman, son homme clé au milieu, blessé peu avant la compétition, Louis van Gaal avait repensé les Pays-Bas autour d’Arjen Robben, autre gaucher supersonique. D’une équipe adepte d’un jeu de possession en phase avec la culture néerlandaise, l’ancien entraîneur de l’Ajax avait transformé les Bataves en une machine à contre-attaquer. Robben, lui non plus, ne défendait pas beaucoup. Il restait toujours disponible à la récupération du ballon pour vite se rendre dans le camp adverse. Auteur de trois buts et d’une passe décisive, Robben, guidé par Van Gaal, avait emmené les Pays-Bas en demi-finales du Mondial brésilien. Coïncidence (ou pas), les Pays-Bas évoluaient dans un système à trois défenseurs centraux, tout comme le Pays de Galles de Chris Coleman.

Les Gallois de Coleman, Bale, Ramsey et Allen n’iront pas forcément aussi loin que les Néerlandais de Van Gaal et Robben. Mais les obstacles sur la route d’un bel été ne semblent pas insurmontables. En huitièmes de finale, ils affronteront le 3e du groupe A, C ou D. De quoi rêver des quarts et d’un premier Euro plus que réussi. Pour Gareth Bale, vainqueur il y a quelques semaines de la Ligue des champions pour la deuxième fois en trois ans avec le Real Madrid, la saison 2015-2016 aura été sublime quoi qu’il advienne.

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