Mise en exploitatioin commerciale en 1978, la centrale de Fessenheim produit 1,5 % de l’électricité française et la moitié de la production alsacienne. | FREDERICK FLORIN / AFP

Les responsables d’EDF n’en sont pas encore revenus. « C’est sidérant », dit l’un. « Surréaliste », juge un autre. « Apocalyptique », s’étrangle un troisième. En cause, l’indemnisation proposée par l’Etat à l’entreprise pour compenser la fermeture anticipée de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin).

Dans un courrier adressé début mai au PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, et resté jusqu’à présent confidentiel, la ministre de l’environnement et de l’énergie, Ségolène Royal, avance pour la première fois un montant qui pourrait être versé au groupe public. En fonction des scénarios retenus, elle évoque une fourchette comprise entre 80 millions à 100 millions d’euros, indiquent quatre sources au fait du dossier.

Une somme sans commune mesure avec celles évoquées depuis que François Hollande a promis, lors de la campagne présidentielle de 2012, d’arrêter Fessenheim, la plus ancienne centrale nucléaire de France, en service depuis 1977. Dans un rapport remis à l’Assemblée nationale en septembre 2014, les députés Marc Goua (Parti socialiste) et Hervé Mariton (Les Républicains) avaient, en première analyse, estimé à 4 milliards d’euros l’indemnité possible pour d’EDF. Cette évaluation avait alors été vigoureusement contestée par Mme Royal. Il s’agissait selon elle de « calculs farfelus (...) lancés dans la nature pour essayer d’influencer des décisions ».

Le double rôle de l’Etat

Certains experts avaient ensuite mentionné une enveloppe de 2,5 milliards à 3 milliards d’euros. Celle-ci correspond à peu près à ce qu’espéraient les dirigeants d’EDF. « Ils n’avaient jamais donné de chiffre, mais tablaient sur au moins 2 milliards d’euros », estime un familier du groupe.

A 80 ou 100 millions d’euros, le montant mis sur la table par l’Etat se révèle 20 à 50 fois inférieur à ces divers chiffrages, ce qui a provoqué une certaine sidération au siège d’EDF, avenue de Wagram, à Paris. Il s’agit bien sûr d’un point de départ fixé volontairement très bas par l’Etat, qui agit ici, non comme actionnaire majoritaire d’EDF, mais en tant que puissance publique, soucieuse de ne pas creuser le déficit budgétaire. Il montre cependant que la négociation tout juste entamée avec l’Etat sera dure.

M. Lévy s’apprête à répondre à Mme Royal, pour accuser réception de la lettre et lui proposer une rencontre. Mais au-delà de ces échanges polis, « le dialogue est totalement bloqué, analyse un de ceux qui suivent les tractations. Chacun attend de voir qui lâchera du lest le premier. »

Aboutir rapidement à un accord

La décision d’arrêter, à terme, les deux réacteurs de Fessenheim, conformément aux demandes des anti-nucléaires et aux promesses de campagne, avait été annoncée dès l’arrivée de M. Hollande à l’Elysée, en 2012. Mais la date exacte de la fermeture est longtemps restée floue, de même que la question du coût financier de l’opération.

Depuis, la situation a commencé à se clarifier. Tout en jugeant que Fessenheim est une centrale sûre, qui pourrait encore tourner des années, EDF a accepté de fermer son site alsacien, lorsque le réacteur EPR en construction à Flamanville (Manche) sera mis en service. La loi sur la transition énergétique, qui plafonne à 63 200 mégawatts la production d’électricité nucléaire française, sera ainsi respectée. Compte tenu du retard du chantier de Flamanville, l’ouverture de cette centrale et l’arrêt de Fessenheim devraient avoir lieu vers la fin de 2018, selon EDF.

Les discussions financières, elles, ont débuté il y a quelques semaines seulement, à partir du moment où Mme Royal a désigné un négociateur, Jean-Michel Malerba, déjà délégué interministériel à la fermeture de Fessenheim. L’objectif de l’Etat est d’aboutir rapidement à un accord, qui sera ensuite soumis au comité d’entreprise et au conseil d’administration d’EDF. Puis, l’entreprise devra déposer une demande formelle d’abrogation de l’autorisation d’exploiter Fessenheim. Cette étape, initialement attendue par Mme Royal d’ici à la fin de juin, est désormais envisagée par EDF pour le mois de décembre.

L’entreprise se trouve victime d’une « privation d’un outil nucléaire qui fonctionne bien, et devait être utilisé encore pendant des années » Jean-Bernard Lévy

Aux yeux de M. Lévy, le préjudice d’EDF dans cette affaire est « indiscutable », comme il l’a affirmé lors d’une audition au Sénat le 27 avril. L’entreprise se trouve victime d’une « privation d’un outil nucléaire qui fonctionne bien, et devait être utilisé encore pendant des années », a-t-il expliqué. L’Autorité de sûreté nucléaire a en effet émis, en 2011 et 2012, des avis favorables à l’exploitation des deux réacteurs pendant au moins dix ans, et EDF a investi pour moderniser les installations. Dans ce type de cas, il est logique de prétendre à une indemnisation, comme l’a reconnu le conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 2015.

Un bras de fer commence

Les pouvoirs publics insistent, eux, sur tous les facteurs justifiant une indemnité minime. Le préjudice ? Il n’est peut-être pas si important que cela. L’exploitation de Fessenheim pendant des années n’avait rien d’acquis, et nécessitait encore des investissements, soulignent certains. Autre élément à prendre en compte : la chute récente des prix de l’électricité sur le marché européen, un mouvement jugé durable par les analystes, en raison des surcapacités de production.

Cette baisse des prix réduit d’autant les recettes attendues par une centrale comme Fessenheim, donc le manque à gagner en cas d’arrêt anticipé. Les pouvoirs publics mettent aussi en avant les contacts pris par l’Etat auprès d’investisseurs susceptibles d’aider à la reconversion du site, et donc de réduire le coût de la fermeture pour EDF.

« Malgré tout, le gouvernement va devoir beaucoup argumenter pour expliquer un montant aussi dérisoire, qui complique encore notre difficile équation financière », s’exclame un cadre d’EDF.

Le bras de fer sera suivi de très près par les actionnaires minoritaires d’EDF, qui ont déjà vu leurs actions perdre 60 % de leur valeur en cinq ans, mais aussi par les partenaires industriels du groupe à Fessenheim. Un tiers de la centrale appartient à l’allemand EnBW et aux suisses Alpiq, Axpo et BKW, qui ont participé à son financement et utilisent l’électricité produite sur place. Eux aussi espèrent être indemnisés correctement.