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Après Angry Birds (sorti le 11 mai), Warcraft : le commencement (qui doit sortir le 25 mai) et l’annonce du film consacré à Fruit Ninja, Alexis Blanchet, maître de conférences en études cinématographiques à l’université Sorbonne-Nouvelle-Paris-III, et auteur de plusieurs ouvrages sur les rapports entre jeux vidéo et cinéma, explique la logique industrielle à l’œuvre.

Avez-vous été surpris par l’annonce d’une adaptation de Fruit Ninja en film ?

Alexis Blanchet : Comme les promesses, les annonces n’engagent que ceux qui les lisent ! Les annonces d’adaptations de jeux en film sont fréquentes depuis quinze ans, cela ne se concrétise pas toujours. On attend toujours le film Les Sims, alors que les droits d’adaptations du jeu ont été signés par la 20th Century Fox il y a bientôt dix ans.

Il faut l’entendre comme une stratégie de communication des studios hollywoodiens. Les annonces sont une manière de faire parler de soi, et l’année cinématographique en cours, avec une multitude d’adaptations sorties ou à venir (Dofus, Ratchet & Clank, Angry Birds, Warcraft, Assassin’s Creed) est propice à ce type d’annonce médiatique qui peuvent en effet surprendre les spectateurs ; la surprise que cela produit venant probablement du fait que la licence adaptée semble très pauvre en termes de contenus fictionnel et narratif.

Il semble, en tout cas, que le film Fruit Ninja ne visera pas à être un blockbuster. Il faut à mon avis davantage le considérer comme une production de taille moyenne qui s’oriente opportunément vers une franchise vidéoludique populaire qui restera toujours plus accessible et bon marché qu’un personnage Marvel par exemple. Il y a toujours des calculs rationnels derrière les choix de production.

Angry Birds - Bande-annonce Teaser officielle - VF
Durée : 02:17

Est-il vraiment possible d’adapter au cinéma une œuvre aussi minimaliste que Fruit Ninja, où il n’est question que de couper des fruits ?

Même si elles ne représentant pas la majorité des cas, plusieurs adaptations de jeux de société ou d’attractions ont déjà été produites et exploitées ces dernières années : le Touché-Coulé d’Hasbro a été adapté sous forme de film de guerre (Battleship), et les attractions de parcs à thèmes, comme Pirates des Caraïbes, Le Manoir hanté aux 999 fantômes, ou même Tomorrow Land, une zone de Disney World récemment adaptée par Brad Bird, ont donné parfois lieu à des franchises cinématographiques à succès.

A la Poursuite de Demain - Bande-annonce (VF)
Durée : 01:48

Les spectateurs avertis se demandaient probablement ce que cela pouvait donner en termes d’adaptation cinématographique. On peut déjà situer le projet Fruit Ninja dans cet espace-là. C’est une licence de divertissement forte en Occident, une marque globale, et même si le jeu lui-même paraît chiche en contenu, il contient des références à un genre cinématographique dans son titre même, le ninja, qui est une réinterprétation par le cinéma de genre américain d’un archétype guerrier japonais. Le jeu, qui a un graphisme très cartoon, a été confié à deux scénaristes d’animation. La thématique alimentaire est aussi dans l’air du temps, de Ratatouille aux émissions de concours culinaires.

Comment expliquez-vous l’essor actuel des films adaptés de jeux vidéo ?

Sur trois cas d’adaptation déjà sortis en 2016, Angry Birds, Warcraft et d’une certaine façon Ratchet & Clank, le passage par le cinéma est à mon avis un moyen de revitaliser des franchises qui sont plus ou moins en perte de vitesse. Angry Birds est un phénomène mobile dont le pic de popularité date déjà d’il y a plusieurs années ; World of Warcraft est un phénomène du jeu massivement multijoueur qui n’a plus aujourd’hui l’activité qu’il connaissait au milieu des années 2000 ; et Ratchet & Clank est une licence moyenne, qui n’est pas extraordinairement populaire même dans les cercles « gamers ». C’est également le cas pour Dofus, un jeu en ligne qui existe depuis un moment.

Sur ces cas-là, c’est donc moins le cinéma qui va au jeu vidéo que le secteur du jeu vidéo qui utilise le cinéma pour redonner un certain lustre à des franchises en perte de vitesse. Au Japon, le film Ratchet & Clank était d’ailleurs vendu sur support Blu-ray en bonus du jeu PS4 : cela donne vraiment l’impression que le film est un produit dérivé du jeu. Avant 2016, les choix d’adaptation de jeu par l’industrie du cinéma concernaient davantage des franchises en pleine activité, par exemple Tomb Raider en 2001 qui adapte une franchise au zénith de sa popularité au sortir des années 1990.

Assassin's Creed Lineage - Full Movie
Durée : 35:52

Le film Assassin’s Creed [qui sortira fin décembre] m’apparaît comme un cas d’adaptation assez équilibré entre le pôle cinéma et le pôle jeu vidéo, peut-être parce qu’Ubisoft n’a pas voulu perdre le contrôle de sa franchise lors de son passage sur grand écran. L’ambition est d’avoir une production cinématographique qui suit une logique ancienne d’Hollywood, le pre-sold project, c’est-à-dire que les producteurs du film n’ont pas besoin de convaincre une partie du public – les gamers – de l’intérêt de l’univers car il en est déjà familier.

Et pour les gens totalement ignorants de cet univers, cela reste un objet filmique intéressant, un film d’action et d’aventure avec une reconstitution historique et des acteurs de premier plan (Marion Cotillard et Michael Fassbender).

Longtemps, les adaptations de jeux vidéo en film ont traîné la réputation d’être de mauvais films. Est-ce que cela change ?

La question à se poser est : qui formule ce jugement critique sur ces adaptations de jeu vidéo ? La critique de cinéma qui jugera les qualités esthétiques, politiques et cinématographiques de l’œuvre, et la communauté de joueurs qui jugera globalement la fidélité au jeu. Du côté des producteurs, du point de vue de l’industrie, la question de la fidélité au jeu reste très secondaire, car certes ils s’appuient sur une franchise déjà connue d’une partie du public, mais leur but est de créer un divertissement cinématographique qui s’adresse au plus large public possible, qui a peu de chance d’avoir une connaissance précise du jeu adapté.

On se rend d’ailleurs bien compte que la source vidéoludique est bien souvent totalement effacée des adaptations : les affiches du film Warcraft ne mentionnent pas la filiation avec un jeu vidéo. On est au contraire dans le registre classique du film spectaculaire avec une scène de bataille en bas de l’affiche et une variété de personnages, moins caractérisés par leur psychologie que par leurs capacités d’action, ce qui renvoie assez directement au jeu vidéo.

Warcraft : Le Commencement / Bande-annonce officielle 2 VF [Au cinéma le 25 Mai]
Durée : 01:09

On attendra de voir ce que la critique dit du travail de Duncan Jones sur Warcraft – il avait montré un certain goût des mécaniques du jeu vidéo dans son film Source Code. On a en tout cas avec Warcraft et Assassin’s Creed deux exemples d’adaptations sur le mode du blockbuster, ce qui était rarement le cas auparavant à part avec les Tomb Raider. C’est à souligner. Dans Street Fighter, Van Damme était un acteur secondaire comparé à Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger et Bruce Willis ; dans Super Mario Bros., Bob Hoskins et John Leguizamo n’étaient pas non des acteurs de première zone. Alors que Marion Cotillard et Michael Fassbender dans Assassin’s Creed, ce sont des marqueurs d’un blockbuster.