Si Helena Pikon ne joue plus tous les rôles du répertoire, elle continue à se produire régulièrement. | FRANÇOIS COQUEREL POUR « M, LE MAGAZINE DU MONDE »

Comment vous êtes-vous retrouvée dans la troupe de Pina Baush ?

Quelquefois, le hasard, qui n’en est jamais vraiment un, fait bien les choses. J’ai pris des cours de danse avec Jacques Patarozzi, pendant un an à Paris, lorsque j’avais 19 ans. Avant, je faisais beaucoup de sport, de l’équitation, de l’athlétisme et même de l’escalade. Je me voyais d’ailleurs passer ma vie dehors, en plein air, plutôt qu’enfermée dans un théâtre. Je suis partie en 1978 à Wuppertal en Allemagne comme baby-sitter chez des danseurs de la troupe de Pina qui y dirigeait alors la compagnie Tanztheater. J’assistais de temps en temps aux répétitions du ballet Renate Wandert aus. Un jour, Pina m’a demandé d’enfiler une robe et de courir en riant, poursuivie par les danseurs portant des vestes avec des ailes d’ange. Un peu plus tard, elle m’a « balancée » dans le spectacle. C’était un conte de fées. J’ai été engagée en 1981.

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Comment consacre-t-on toute sa vie à une seule artiste ?

Lorsque j’ai commencé à danser dans la compagnie, je ne savais pas combien de temps j’y resterais. C’était comme une relation amoureuse : on a envie que ce soit pour l’éternité mais on ne sait pas exactement combien d’années cela va durer. Danser avec Pina, ce n’était pas un job, c’était un cheminement personnel. Au-delà de l’artiste de génie, je l’aimais en tant que personne. Comme une femme qui, avant tout, m’a fait grandir. Par ailleurs, avec le peu de bagage que j’avais en danse, me retrouver dans cette troupe avec tous ces interprètes, toutes ces nationalités, a été une expérience extraordinaire.

L’ultraféminité de la danseuse chez Pina Bausch, avec robes du soir et cheveux longs, est-ce une évidence pour vous ?

Je suis plutôt garçon manqué. Je me maquille très peu pour les spectacles, sauf lorsque j’en ai envie, et Pina ne m’a jamais demandé de le faire. Je me suis coupé les cheveux en 1992, à la mort de mon père. Un geste spontané de deuil. Pina ne m’a rien dit, mais j’ai bien vu qu’elle n’était pas contente. Elle préférait les cheveux longs, car ils dansent aussi.

La troupe est toujours en tournée. Parvenez-vous à avoir une vie personnelle ?

Bien sûr ! En 1988, j’ai décidé de partir à Hambourg pour vivre une histoire d’amour. Je ne pensais pas revenir à Wuppertal. Et puis, j’ai signé un nouveau contrat en 1992. Je n’ai jamais eu la sensation de faire de sacrifice par rapport à mes sentiments. Je n’ai pas eu d’enfants, je n’en ai pas eu le désir. Je n’ai aucun regret.

Mettre en jeu son intimité dans des spectacles où chaque interprète porte son vrai nom et devenir une sorte de personnage public est-il lourd à porter ?

Je ne fais pas de différence entre ce que je suis dans la vie et sur scène. Je glisse naturellement de l’un à l’autre, du privé au public. C’est sûrement bizarre, mais je ne me sens jamais en représentation pendant un spectacle. Si je raconte mon histoire, c’est aussi toujours celle de quelqu’un d’autre dans la salle.

Comment vieillit-on en scène lorsqu’on est danseuse ?

Vieillir est plus compliqué lorsqu’on danse. J’ai un sens de l’esthétisme dans les spectacles de Pina. Lorsque je sens que mon corps ne « passe » plus, je transmets mes rôles à de jeunes danseuses. Je n’interprète plus, par exemple, le personnage de la jeune fille avec un gros nœud mauve dans les cheveux et une robe rose très courte dans Le Laveur de vitres (1997). Il exige une fraîcheur que je ne possède plus. Je pense qu’il faut avoir une certaine lucidité sur son corps et ses capacités.

N’est-ce pas douloureux de laisser derrière soi des pans entiers de sa vie et de son parcours ?

Non, tout dépend de la façon et de l’esprit avec lesquels on donne les rôles que l’on a créés. Personnellement, j’aime transmettre parce que je ressens une responsabilité vis-à-vis de l’œuvre de Pina. C’est comme une parole donnée à laquelle je dois être fidèle. Il faut aussi s’effacer derrière son travail. Pina a été le cadeau de ma vie. A chaque fois que je viens saluer après la représentation et que j’emmène toute la compagnie la main dans la main, j’ai l’impression de sentir la sienne.

« Auf dem Gerbirge Hatman ein Geschrei Gehort » en mai, au Théâtre du Châtelet, à Paris. | KRAUSKOPF

C’est à vous qu’elle a confié son rôle emblématique dans « Café Müller ». Que représente cette pièce pour vous ?

En 2008, Pina était souffrante et je suis « tombée » dans ce rôle qu’elle a dansé pendant toute sa vie. Je n’arrivais pas à le retenir au début. Lorsque je le danse aujourd’hui, je n’ai pas la sensation d’interpréter un rôle. Je me souviens simplement de ce que je ressentais en regardant Pina sur scène.

« Café Müller/Le Sacre du Printemps, de Pina Bausch ». Arènes de Nîmes. Du 6 au 9 juin. Tél. : 04-66-36-65-10. De 26 à 120 €. www.theatredenimes.com