Hillary Clinton, le 21 juin à Columbus, dans l’Ohio. | J.D. Pooley / AFP

Hillary Clinton est passée à une nouvelle phase de son offensive contre Donald Trump, mardi 21 juin, en décidant de l’attaquer sur son propre terrain. La candidate démocrate s’en est ainsi prise à son bilan d’entrepreneur et à ses compétences en matière économique, que le magnat de l’immobilier a tant vantés pendant la première partie de sa campagne pour asseoir sa crédibilité. « Nous n’allons pas le laisser mettre l’Amérique en faillite comme l’un de ses casinos en déroute », a déclaré Mme Clinton, qui s’exprimait dans un lycée de Columbus, dans l’Ohio, l’un des Etats pivots où l’électorat bascule d’un camp à l’autre au gré des scrutins. « Nous ne pouvons pas le laisser jouer aux dés le futur de nos enfants ».

L’offensive est tous azimuts. Son équipe de campagne a ainsi ouvert un site Internet, Art of the Steal (« l’art du vol »), censé rétablir un certain nombre de faits sur le passé de chef d’entreprise de M. Trump, en mettant en exergue ses échecs. « Des centaines de personnes ont perdu leur emploi. Les actionnaires ont été laminés. Les sous-traitants – des PME pour la plupart – ont subi de lourdes pertes. Beaucoup ont fait faillite. Mais Donald Trump ? Il s’en est bien sorti », a rappelé Mme Clinton, faisant notamment allusion aux casinos que M. Trump possédait à Atlantic City et qu’il a été obligé de revendre. « Il a écrit beaucoup de livres sur les affaires. Mais ils semblent qu’ils se soient tous arrêtés au chapitre 11 », a-t-elle persiflé en faisant allusion à l’article du code sur les faillites.

Trump, « roi de la dette »

La candidate démocrate s’est aussi attaquée au programme économique du candidat républicain, prévenant que ses propositions feraient exploser le déficit budgétaire et mettraient en péril la crédibilité d’emprunteur des Etats-Unis. « Il s’autoproclame roi de la dette, a-t-elle dit. Il le mérite, si l’on en croit son projet fiscal, qui augmenterait la dette publique de plus de 30 000 milliards de dollars en vingt ans », affirme-t-elle. Pour étayer ses propos, elle s’est appuyée sur un rapport rédigé par l’agence de notation financière Moody’s paru lundi, qui tente d’évaluer l’impact du programme économique de M. Trump.

« D’ici à la fin de sa présidence, le chômage augmenterait à 7 %, contre 5 % aujourd’hui, le revenu moyen des foyers américains stagnerait et les prix des actions et de l’immobilier déclineraient », anticipe l’auteur principal de ce rapport, Mark Zandi. Celui-ci fut conseiller économique du républicain John McCain lors de la campagne présidentielle de 2008, mais il a également travaillé pour l’administration Obama et fait partie des donateurs de la campagne de Mme Clinton.

Le rapport admet toutefois que les projections se révèlent compliquées du fait que les éléments concrets pour bâtir des hypothèses sont relativement lacunaires. De son côté, l’entourage de M.Trump a vigoureusement critiqué ce rapport, qui reposerait sur des hypothèses erronées, soulignant que le candidat républicain clarifierait ses positions à l’occasion d’un discours qu’il pourrait prononcer dans les prochaines semaines.

Récession et disparition d’emplois par millions

Moody’s a élaboré trois scénarios. L’un où le programme de M. Trump serait appliqué à la lettre et deux autres, moins catastrophistes, en imaginant que les propositions de M. Trump soient édulcorées par le Congrès.

Dans la première hypothèse, l’économie américaine entrerait dans une récession prolongée et plus de 3,5 millions d’emplois pourraient disparaître. Dans les deux autres, au cas où les réductions d’impôt promises seraient moins importantes qu’annoncé et qu’une guerre commerciale avec la Chine et le Mexique puisse être évitée, la croissance ralentirait, mais la récession serait évitée, affirme l’analyse.

Moody’s estime en revanche que les dépenses budgétaires supplémentaires et les réductions d’impôt envisagées par M. Trump, qui prévoit une augmentation des prestations pour les anciens combattants et un renforcement des moyens pour sécuriser les frontières, nécessiteraient des coupes claires dans le budget fédéral, sans lesquelles le déficit se creuserait pour atteindre 1 000 milliards de dollars (contre 439 milliards en 2015). « Il y a un océan entre ce qu’il dit sur les impôts et les dépenses et ses calculs budgétaires », commente M. Zandi, qui qualifie les propositions fiscales de « bancales ».

M. Trump a annoncé des réductions d’impôt pour une large partie des Américains, tout en supprimant certaines niches fiscales. Le Tax Policy Center, un think tank de la Brookings Institution estime que ces décisions réduiraient les recettes budgétaires de 9,5 milliards de dollars.

Le ton de la campagne vient de monter

Concernant la politique que mènerait M.Trump en matière de libre-échange, le tableau décrit par Moody’s s’annonce noir. Lors d’un discours prononcé le 18 juin à Phoenix (Arizona), M. Trump a de nouveau stigmatisé l’accord de libre-échange signé en 1994 entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, affirmant qu’il s’agissait « probablement de la décision économique la plus destructrice jamais signée par notre pays ».

Pour rééquilibrer les échanges commerciaux, il menace d’instaurer une taxe de 45 % sur les importations en provenance de la Chine et de 35 % pour celles venant du Mexique. Si ces mesures étaient appliquées, les produits importés augmenteraient de 15 % avec à la clé un bond de 3 % des prix à la consommation, affirme Moody’s. Au-delà des effets inflationnistes, ces dispositions provoqueraient une grande incertitude pour les entreprises exportatrices, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la croissance, tandis que des mouvements de délocalisation pourraient être observés. Selon une étude récente de l’économiste Peter Petri, de la Brandeis University, le déficit commercial américain pourrait atteindre 275 milliards de dollars, soit 37 % de plus que le niveau actuel.

Par ailleurs la politique migratoire très restrictive de M. Trump, qui prétend par exemple expulser les 11,5 millions d’immigrés clandestins en dix-huit mois, provoquerait d’importantes pénuries de main-d’œuvre, notamment dans l’agriculture et les services. La conséquence serait une augmentation sensible des coûts de la main-d’œuvre.

Piqué au vif par ces attaques en règle, M. Trump ripostera mercredi lors d’un discours qu’il doit prononcer à New York pour évoquer « les erreurs de jugement et les politiques désastreuses menées par Hillary la malhonnête ». Le ton de la campagne vient de monter d’un cran et l’escalade n’est certainement pas terminée d’ici à l’élection du 8 novembre.