Dominique Méda a publié dans Le Monde du 28 mai une tribune livrant son interprétation de la fièvre sociale. Elle souligne le paradoxe suivant lequel les choix politiques des gouvernements visant à pacifier le dialogue social en France n’ont pas épuisé le potentiel de mouvements sociaux. Ce réformisme-là aurait attisé la colère sur fond d’anxiété et permis le détricotage de notre modèle social. Elle suggère qu’une alternative passe par la démocratisation de l’entreprise, la reconversion écologique, pour la zone Europe. À la différence de Dominique Méda, deux aspects du dialogue social chaotique sont à souligner : la négociation en entreprise, la création du travail et de l’emploi.

À nos yeux, la modernisation du dialogue social se pratique à bas bruit et se renouvelle dans les entreprises. De rares sociologues rappellent qu’on y fabrique continûment des compromis entre partenaires sociaux, collègues, avec les clients et fournisseurs. Donc, il est avisé de soutenir que le syndicalisme d’entreprise est le plus pertinent, car les partenaires sociaux au ras des ateliers, des unités soignantes, des plateformes de service savent ce dont ils parlent. Brandir l’argument normatif que la hiérarchie des normes et la pyramide des droits seraient inversées au détriment des salariés, en faveur des employeurs n’est pas valide. Il n’y a pas dans la loi El Khomri d’inversion de la hiérarchie des normes sociales. En matière de durée du travail, la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, c’est tout ! Tout le reste de l’ordre social n’est pas touché. La mise en œuvre de la loi El Khomri impliquera une transcription locale. On le sait, la règle de droit ne dicte pas son contenu. Plutôt que de se cramponner sur des universaux, il est raisonnable de pratiquer des petits pas. S’attacher à des accords de moyenne portée, aux résultats tangibles, évaluables, est plus satisfaisant pour les intéressés.

Le syndicalisme belliqueux est crépusculaire

Ce paritarisme d’entreprises nous invite à déplacer l’attention hors du spectacle guerrier de mouvements sociaux déniant au gouvernement son droit à légiférer. Ce syndicalisme belliqueux, ces pratiques d’intimidation langagière et physique sont tolérés par la démocratie et la République. Il s’inscrit dans le sillage d’un mouvement ouvrier historique dépeint par Alain Touraine. Il est crépusculaire sous cette forme-là, empruntant un récit momifié, usant d’images pétrifiées du travail et de l’emploi. Dans les entreprises existantes et émergentes, la nouvelle génération de salariés, d’élus, de chefs d’entreprises va inaugurer des relations sociales ajustées, congruentes avec les réalités productives. Las, ce syndicalisme politique est ancré au sein de grandes entreprises et bureaucraties adossées plus ou moins directement à l’Etat, des trois fonctions publiques, d’établissements parapublics. Cette focalisation sur la colère sociale, conduit fâcheusement à omettre que l’issue des problèmes de formation, de conditions de travail, de sécurité, d’organisation, de litiges s’effectue, se règle dans les organisations. Au regard de la statistique sociale et économique, comme des travaux sociologiques, l’univers des artisans, des TPE et des PME, des indépendants n’ont rien à voir, ni à comparer, avec les précédents. À nos yeux, une représentation sur-mesure des salariés, étendue, dans ces entreprises si singulières, est souhaitable. Que les employeurs et les syndiqués apprennent et rodent la négociation sociale à petite et moyenne échelle serait efficace tant pour la performance économique que le développement social d’entreprise, comme l’entendait Renaud Sainsaulieu.

Le dialogue social au service de la croissance économique

Pour clore, la négociation de la modernisation du dialogue paritaire est une condition nécessaire de la genèse du travail, de la création d’emplois. Il est démontré par les économistes et les sociologues, que le travail et les emplois créés s’effectueront dans le futur, principalement, lors de la création ex nihilo, au sein d’entreprises émergentes, de sociétés de petite taille et intermédiaire. Nous tenons que l’exploration de lignées de produits et de services novateurs, de technologies, de procédés, sera le fruit de la conception et de l’industrialisation congruentes avec des usages potentiels. Les formes inventées d’expression, de négociation vont s’expérimenter dans ces contextes-là.

Les sciences sociales seront mises à l’épreuve par les logiques qu’ont les créateurs d’entreprises, de générer du travail et des emplois, par les pratiques de travail émergentes, par les formes inédites d’organisation, qui contribuent à transformer les entreprises et donc des relations sociales. C’est par les embrasures de la création du travail, des emplois, au ras des entreprises et des entités productives que la contribution analytique, compréhensive des sciences sociales peut être judicieuse pour les parties prenantes qu’elles soient employeurs, salariés, indépendants, élus de la nation.

Guy Minguet, Professeur de sociologie, Ecole des Mines de Nantes, Institut Mines Télécom