Suite à la montée de la Seine les champs sont inondés. Cumulé par de fortes températures, des champignons pourraient apparaître, comme le mildiou, finissant d’achever les récoltes. | Matthieu RONDEL / Hanslucas pour "Le Monde"

C’est d’abord une ridule qui se dessine à la surface, puis un reflet argenté. Des carpes se promènent entre les rangs de salades et de patates dans les champs de Cédric Beaurain, inondés lors de la crue de la Seine, début juin.

Les douze hectares du maraîcher, qui a repris en 1996 l’exploitation de son père, à Vernouillet, dans les Yvelines, ne sont qu’à quelques mètres du fleuve. Suite aux fortes pluies qui ont touché la région, Cédric Beaurain a tout simplement vu sa propriété se transformer en lac. Il montre sur son téléphone les photographies prises dans l’espoir d’être indemnisé : on ne voit plus qu’une vaste étendue d’eau, séparée en deux par le chemin où circulent d’habitude ses machines. Son tracteur s’y est embourbé lundi, alors qu’il essayait de creuser pour que l’eau s’évacue plus vite, à présent que la décrue a commencé.

Une de ses parcelles, d’où émergent quelques plants de courgettes et de radis, forme une cuvette : il faudra encore plusieurs jours pour que le sol filtre l’eau. « On a tout perdu ! Ça va pourrir. En plus on n’a pas de chance, on a du soleil : humidité et soleil, ça développe les champignons. On va avoir plein de maladies, comme le mildiou », raconte l’agriculteur, les traits tirés : il n’a pas dormi depuis plusieurs jours.

Cédric Beaurain, le 7 juin, ne peut que constater les dégâts causés par la crue. | Matthieu Rondel / Hanslucas pour "Le Monde"

La double peine

Pour les maraîchers de la vallée de la Seine, c’est la double peine : outre les cultures d’été, l’eau a emporté les semis de choux, de carottes et autres légumes d’automne. C’est toute une année de récolte qui est anéantie. « On devait planter les choux cette semaine, mais là c’est impossible, il n’y a plus de terrain. On ne rentrera pas dans les parcelles avant juillet, s’il ne pleut pas à nouveau ! Mais ce sera trop tard pour les cultures d’automne », explique M. Beaurain, qui est par ailleurs trésorier de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles d’Ile-de-France (FDSEA).

Selon les premières estimations de la chambre d’agriculture d’Ile-de-France, au moins soixante-dix agriculteurs ont été touchés par les inondations dans le Val-d’Oise, l’Essonne, les Yvelines et le Val-de-Marne. « Le pire ce sont les maraîchers. Certains ont tout perdu, ça se chiffre en millions d’euros, détaille Christophe Dion, responsable du service technique à la chambre. J’en ai rencontré un ce matin, il n’était pas loin de se mettre dans la Seine. »

Cédric Beaurain, qui vend ses légumes en circuit court dans les marchés des environs, évalue, lui, sa perte à entre deux cent mille et trois cent mille euros : « J’avais déjà payé toutes mes charges : le gasoil, les salaires, l’engrais, les plants, les graines… On a tout eu, sauf la récolte. C’est comme si sur votre ordinateur vous travailliez sur un gros projet depuis six mois, et au moment de le vendre vous avez une panne d’électricité et vous perdez tout. »

Dans son champs, des carpes ondulent entre les plants. | Matthieu Rondel / Hanslucas pour "Le Monde"

Des poissons dans son terrain

Seule lueur d’espoir pour l’agriculteur : un petit terrain d’un hectare, épargné par la crue. Mais il lui faut encore trouver un point d’eau, pour irriguer ce qu’il pourrait planter pour sauver la fin de saison. Pendant qu’il s’entretient au téléphone avec les services de distribution d’eau pour trouver une solution, il regarde d’un air méfiant des salariés de la base de loisir voisine, qui traversent son terrain, munis d’épuisettes. Ils veulent récupérer les poissons, « pour les sauver ». « Il ne faudrait pas qu’ils piétinent tout, on ne sait jamais », soupire le maraîcher.

Le 7 juin, des agriculteurs ont exhorté le gouvernement à déclarer l’état de calamité agricole pour bénéficier du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), chargé de compenser les pertes sur des cultures pour lesquelles ils ne peuvent souvent pas être assurés.

Cédric Beaurain s’accroche à cet espoir d’indemnisation, sans laquelle il envisage de fermer son exploitation :

« Je préfère arrêter tout de suite, et ne pas réengager de frais pour tenter de sauver ce qu’il reste. Il vaut mieux perdre un doigt qu’un bras. J’ai sept salariés, je me pose plein de questions. Est-ce que je les mets au chômage technique ? Je ne peux pas leur faire ça pendant huit mois. On est impuissant. Ne reste plus qu’à attendre une réponse. »

Une rue inondée, près du champ de Cédric Beaurain. | Matthieu RONDEL / Hanslucas pour "Le Monde"