Mercredi 18 mai, les négociations ont ouvert entre le Likoud, la formation de Benyamin Nétanyahou (au centre sur la photo), et le parti Israël Beiteinou de l’ancien ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman (à droite sur la photo). | NIR ELIAS / REUTERS

« Le magicien ». C’est le surnom qu’aiment employer ses partisans les plus fervents, lorsqu’ils évoquent le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Celui qu’ils avaient scandé, après la victoire inattendue du Likoud à l’élection législative anticipée de mars 2015. Depuis, une coalition de 61 membres seulement, très ancrée à droite, avait vu le jour, soit une majorité d’un seul siège à la Knesset (Parlement israélien). Mais le premier ministre comptait exploiter la première ouverture sérieuse pour élargir cette base, en gardant pour cela sans attribution de nombreux postes ministériels, dont celui des affaires étrangères.

Cette ouverture se présente aujourd’hui. Mercredi 18 mai, les négociations entre le Likoud, la formation du chef du gouvernement, et le parti Israël Beiteinou, de l’ancien ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman (2009-2012, puis 2013-2015), ont été officiellement ouvertes. Elles interviennent après plusieurs jours de discussions finalement infructueuses avec la gauche travailliste.

Le poste de ministre de la défense

M. Nétanyahou a rencontré mercredi après-midi M. Lieberman. Des équipes de négociation ont été formées. L’ancien chef de la diplomatie s’est vu proposer le poste de ministre de la défense. Son entrée au gouvernement permettrait d’élargir de six sièges la coalition. M. Nétanyahou n’aurait plus à se soucier en permanence des petits chantages de certains membres du Likoud.

Mais cette ouverture déporterait le gouvernement vers l’extrême droite, au risque d’un isolement accru d’Israël sur la scène internationale. M. Nétanyahou deviendrait aussi dépendant du bon vouloir de M. Lieberman, vieil adversaire personnel. Ce serait aussi une nouvelle douche froide pour les pays qui, comme la France, continuent d’agir pour relancer des négociations de paix israélo-palestiniennes, dont M. Nétanyahou ne veut pas. Mardi, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi avait appelé à une reprise du dialogue avec les Palestiniens, en soutenant l’idée d’un gouvernement d’union nationale en Israël. M. Nétanyahou avait salué cette intervention, avant de se tourner vers M. Lieberman dès le lendemain.

La majorité est actuellement composée du Likoud, du parti Kulanu (centre droit) du ministre des finances, Moshe Kahlon, du Foyer juif (extrême droite nationaliste religieuse) du ministre de l’éducation, Naftali Bennett, et de deux formations ultra-orthodoxes. Les rapports entre MM. Nétanyahou et Kahlon ont été fructueux. Début mai, les deux hommes ont réussi à passer un accord sur un budget pour deux ans.

En revanche, le ministre de la défense, Moshe Yaalon, issu pourtant du Likoud, a fini par exaspérer le premier ministre. M. Yaalon a systématiquement pris la défense de l’état-major, le félicitant pour ses rappels déontologiques. Il a défendu la liberté de parole des hauts gradés. Pour ne pas aliéner cette figure populaire, M. Nétanyahou songerait à lui proposer les affaires étrangères.

Rétablissement de la peine de mort pour les terroristes

Avigdor Lieberman, lui, était il y a quelques semaines en tête du rassemblement d’extrémistes défendant le soldat Elor Azria, jugé pour avoir abattu d’une balle dans la tête un agresseur palestinien inerte à terre, près d’Hébron. Il n’a cessé de critiquer la politique sécuritaire du gouvernement, face à la vague d’attaques palestiniennes depuis octobre 2015. En mars, l’ancien ministre avait posé dix conditions à son retour au gouvernement. Parmi elles : le rétablissement de la peine de mort pour les terroristes, la fin du contrôle de la bande de Gaza par le Hamas, la reprise des assassinats ciblés de responsables terroristes, la construction de deux mille nouveaux logements dans les colonies en Cisjordanie ou encore l’interdiction des partis à la Knesset promouvant le « terrorisme ».

Son éventuelle arrivée à la tête de l’armée, la première institution du pays, provoquerait des étincelles. C’est lui qui, juste avant les élections il y a un an, avait suggéré de « décapiter » les Arabes israéliens déloyaux. Mais derrière ces provocations se cache un calculateur ayant faim de pouvoir. Son passage aux affaires étrangères n’a pas laissé le souvenir de défis engagés contre M. Nétanyahou. « Il faut distinguer la façon dont il parle et sa politique, souligne Avraham Diskin, professeur de sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem. C’est un homme très pragmatique. » Mais le professeur Diskin a des doutes sur l’intérêt d’un élargissement de la coalition. « M. Nétanyahou croit profondément qu’il stabiliserait ainsi le gouvernement. Je crois pour ma part que plus la coalition s’élargit, et moins elle est stable. »

Mercredi, Isaac Herzog, le leader du parti travailliste, a essayé de sauver sa réputation et son poste, après l’échec de ses propres discussions avec le premier ministre. Après avoir répété pendant des mois son hostilité à un gouvernement d’union nationale, M. Herzog, confronté à des sondages catastrophiques, s’est lancé dans des négociations en position de grande faiblesse. Il en sort meurtri. Il a expliqué que la nouvelle coalition avec Lieberman allait « tendre vers la folie ». Le leader travailliste a aussi accusé la députée Shelly Yachimovich, de sa propre formation, d’avoir favorisé cette issue par ses « positions d’extrême gauche ».

Démarche « impardonnable »

Isaac Herzog dit avoir demandé des garanties écrites au premier ministre lors de leurs discussions, ce que M. Nétanyhou aurait refusé. Déjà, des appels à la démission se font entendre dans son propre camp. La députée Stav Shaffir, valeur montante du parti, a qualifé sa démarche d’« impardonnable ». Quant à Shelly Yachimovich, qui représente l’aile gauche travailliste, elle a exprimé son « soulagement ». « Jusqu’où pouvait aller ce suicide politique ? » écrit-elle sur sa page Facebook.

Quels que soient les résultats de ces négociations, Benyamin Nétanyahou aura réussi à semer un désordre général. Dans le pire des cas, sa coalition ne bougera pas, mais ses membres comprendront la nécessité d’une discipline collective. Dans tous les autres, sa coalition sera élargie et le principal parti de l’opposition, les travaillistes, risque l’implosion.

« Il compte rester dans le système politique jusqu’en 2069 », avait dit Avigdor Lieberman en février. Ces tractations politiques ravissent Benyamin Nétanyahou. C’est le domaine où il excelle, où il déploie sa roublardise et sa maîtrise des faiblesses humaines. Benyamin Nétanyahou doit sa longévité exceptionnelle au poste de premier ministre à ces moments où le temps s’accélère, où la tension monte et les promesses sont aussi vite faites qu’oubliées, sous le regard électrisé de médias israéliens raffolant de ce feuilleton.