On a ri aux Molières et on s’y est moins ennuyé qu’aux Césars. Succédant à Nicolas Bedos, le comédien et humoriste Alex Lutz a parfaitement rempli son rôle de maître de cérémonie de cette 28e nuit des récompenses du théâtre privé et public enregistrée, lundi 23 mai, aux Folies-Bergère à Paris et retransmise en fin de soirée sur France 2. Usant de son don pour le travestissement et le grimage, Alex Lutz a joué avec talent à l’ouvreuse débutante, au vieux comédien un peu grivois et au cheval de cirque. La soirée a été ponctuée de quelques très bons sketches. Guillaume de Tonquédec s’est moqué avec bonheur de ces industriels fortunés qui rachètent des théâtres tout en étant « chiffonnés par la faible rentabilité » du secteur. Et Zabou Breitman a excellé dans le rôle de la réac anti-culture dénonçant ces artistes qui se « pavanent » aux frais du contribuable.

Alex Lutz presentant la 28ème cérémonie des Molières sur la scène du théatre des Folies Bergère à Paris le 23 mai 2016. | PATRICK KOVARIK / AFP

Côté palmarès, le grand vainqueur de cette nuit des Molières était absent : Joël Pommerat (en tournée en Chine) a reçu quatre statuettes. Pour sa fresque sur la Révolution française, Ça ira (1) fin de Louis – qui a fait un triomphe au théâtre Nanterre-Amandiers – il a obtenu le Molière du théâtre public, du metteur en scène et de l’auteur francophone de l’année. Mais aussi le Molière du Jeune public pour Pinocchio présenté au théâtre de l’Odéon. La deuxième gagnante de cette soirée est Catherine Frot qui, en remportant le Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé pour Fleur de Cactus mise en scène par Michel Fau, réalise un doublé 2016 inédit après son César de la meilleure actrice pour Marguerite de Xavier Giannoli.

Nouvelle pensionnaire de la Comédie-Française, Dominique Blanc a été récompensée du Molière de la comédienne de théâtre public pour son rôle de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos (mise en scène Christine Letailleur). Tandis que Charles Berling s’est vu remettre celui du comédien de théâtre public pour l’excellent Vu du pont d’Arthur Miller (mise en scène Ivo van Hove). Côté théâtre privé, c’est un artiste venu du public qui a été distingué : Alain Françon a remporté le Molière du metteur en scène pour Qui a peur de Virginia Woolf ? Grâce à cette pièce d’Edward Albee, Wladimir Yordanoff a décroché le Molière du comédien. Quant à la très belle adaptation des Cavaliers de Kessel, mise en scène par Eric Bouvron et Anne Bourgeois, elle a été honorée du Molière du théâtre privé.

Catherine Frot , elue meilleure  actrice pour son rôle dans « Fleur de Cactus ». | PATRICK KOVARIK / AFP

La ministre de la culture épargnée

Deux jeunes visages et excellentes comédiennes n’ont pas été oubliés : Géraldine Martineau, incroyable « gamine » dans Le poisson belge de Léonore Confino a été sacrée révélation féminine et Andréa Bescond, bombe émotionnelle dans Les Chatouilles, mêlant avec rage et grâce théâtre et danse, a reçu le Molière du seul en scène. Dans un discours poignant, elle a dédié sa statuette « à toutes victimes de la pédophilie ». Quant au Molière de la révélation masculine, il a été remis à Alexis Moncorgé pour Amok de Stefan Zweig.

Visiblement touché de se voir remettre des mains de Michel Bouquet un Molière d’honneur, Fabrice Luchini est resté relativement sage face à « son modèle » et a fait sienne la phrase de Laurent Terzieff à propos de la séparation très française entre théâtre public et théâtre privé : « Le théâtre ce n’est pas ceci OU cela mais ceci ET cela ». De son côté, la troupe des Fiancés de Loches n’a pas caché son bonheur de recevoir le Molière du spectacle musical. Enfin, le Molière de l’humour, nouvelle catégorie de cette édition 2016, a été remis à… Alex Lutz. « Ça fait drôle », a-t-il concédé. Même si son one-man-show est de qualité, il est quand même étrange que le maître de cérémonie soit également lauréat d’autant que son spectacle est bien moins récent que les autres nommés et que son producteur, Jean-Marc Dumontet, occupe également le poste de président du conseil d’administration des Molières.

Une fois n’est pas coutume, la nouvelle ministre de la culture a été relativement épargnée. En début de soirée, seule une petite trentaine d’intermittents et de militants du collectif « Décoloniser les Arts » – contestant des Molières sans artistes de couleur – ont manifesté dans le calme devant l’entrée des Folies Bergère. Sur scène, c’est Didier Brice (Molière du comédien dans un second rôle) qui a été chargé d’interpeller Audrey Azoulay à la suite de « l’accord historique » signé le 28 avril par les organisations syndicales de salariés et d’employeurs du secteur du spectacle sur le régime d’assurance-chômage. « Le Medef semble vouloir empêcher la ratification de cet accord », s’est inquiété le comédien avant de lancer : « Madame la ministre, à vous de jouer. Ne tuez pas l’espoir que cet accord a suscité. Mettez-le en œuvre avant le 1er juillet. » C’est-à-dire avant le festival d’Avignon.

LE PALMARÈS INTÉGRAL DES MOLIÈRES 2016:

Molière d’honneur : Fabrice Luchini

Molière du théâtre public : Ça ira (1) Fin de Louis, de et mis en scène par Joël Pommerat

Molière du théâtre privé : Les Cavaliers, d’après Joseph Kessel, mis en scène par Eric Bouvron et Anne Bourgeois

Révélation féminine : Géraldine Martineau (Le Poisson belge de Léonore Confino)

Révélation masculine : Alexis Moncorgé (Amok de Stefan Zweig)

Molière de la Comédie : Les Faux British, de Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, mis en scène par Gwen Aduh (actuellement au Théâtre Saint-Georges)

Molière de la création visuelle : 20 000 lieues sous les mers, d’après Jules Verne, mis en scène par Christian Hecq et Valérie Lesort à la Comédie-Française

Molières du spectacle musical : Les Fiancés de Loches, de Georges Feydeau et Maurice Desvallières (Théâtre du Palais Royal)

Molière du jeune public : Pinocchio, de et mis en scène par Joël Pommerat

Molière de l’humour : Alex Lutz, d’Alex Lutz et Tom Dingler, mis en scène par Tom Dingler

Molière Seul en scène : Andréa Bescond (Les Chatouilles ou la danse de la colère, mis en scène par Eric Métayer)

Molière de la comédienne d’un spectacle de théâtre public : Dominique Blanc (Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos)

Molière du comédien d’un spectacle de théâtre public : Charles Berling (Vu du pont d’Arthur Miller)

Molière de la comédienne d’un spectacle privé : Catherine Frot (Fleur de Cactus mis en scène par Michel Fau)

Molière du comédien d’un spectacle privé : Wladimir Yordanoff (Qui a peur de Virginia Woolf d’Edward Albee, mis en scène par Alain Françon)

Molière de l’auteur francophone vivant : Joël Pommerat pour Ca ira (1) Fin de Louis

Molière du metteur en scène d’un spectacle de théâtre public : Joël Pommerat pour Ça ira (1) Fin de Louis

Molière du metteur en scène d’un spectacle de théâtre privé : Alain Françon pour Qui a peur de Virginia Woolf

Molière du comédien dans un second rôle : Didier Brice dans À tort et à raison de Ronald Harwood, mis en scène par Georges Werler

Molière de la comédienne dans un second rôle : Anne Bouvier dans Le Roi Lear de William Shakespeare, mis en scène par Jean-Luc Revol