Marine Le Pen estime que si l’article 411-4 avait été mis œuvre à l’encontre de Larossi Abballa, il n’aurait pas assassiné le couple de policiers de Magnanville. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

Comment se protéger des risques d’attentats commis par des djihadistes présumés identifiés par la police, mais jamais passés à l’acte ? C’est l’une des questions soulevées par le meurtre d’un couple de policiers à Magnanville (Yvelines) dans la nuit du lundi 13 au mardi 14 juin par Larossi Abballa, un homme connu des services de renseignements. Marine Le Pen a affirmé sur Facebook tenir une solution à ce problème, qui serait prévue par la loi mais jamais utilisée :

« Je réclame maintenant l’application de l’article 411-4 du code pénal. Cet article permet, dès que l’on est convaincu qu’un homme ou une femme a des relations avec l’entreprise Etat islamique, l’organisation Etat islamique, de le traîner devant la cour d’assises et de le mettre hors d’état de nuire. »

La présidente du FN estime que « si cette mesure-là avait été mise en œuvre pour celui qui a lâchement assassiné ce couple de policiers lorsqu’il est passé devant le tribunal en 2013, eh bien il n’aurait pas pu commettre cet acte ». Et de mettre en perspective la peine de trente ans de prison et de 450 000 euros prévue par cet article du code pénal avec la peine de trois ans d’emprisonnement, dont six mois avec sursis, dont a écopé Larossi Abballa en 2013 pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes ».

POURQUOI C’EST FAUX

Le raisonnement de Marine Le Pen pose plusieurs problèmes. D’abord, il faut rappeler que si le meurtrier de Magnanville a été condamné à seulement trois ans de prison, il en encourait en théorie jusqu’à vingt, et plus 225 000 euros d’amende. C’est en effet la peine maximale que prévoit l’article 421 du code pénal pour le fait de préparer des actes terroristes graves.

Si la condamnation a été de cet ordre, c’est parce que la justice a tranché en fonction de la gravité des faits qui pouvaient être imputés à Larossi Abballa, et non parce que la loi ne permettait pas de le juger plus sévèrement. L’ex-juge antiterroriste Marc Trévidic, qui a mis l’homme en examen à l’époque, a d’ailleurs dit au Figaro que les charges contre lui étaient ténues.

Au-delà de cela, la présidente du FN a-t-elle raison d’affirmer qu’il existerait un arsenal juridique non utilisé contre les djihadistes ? Voici ce que dit l’article 411-4 du code pénal qu’elle a cité dans son intervention vidéo sur Facebook :

« Le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France, est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende. »

Le sens des mots en droit n’est pas celui du langage courant

Si on interprète ce texte au sens courant des termes, on peut considérer que les djihadistes qui prêtent allégeance au groupe Etat islamique (EI) sont « hostiles » envers la France et serait donc concernés par ce texte. Mais « il faut faire la différence entre le sens juridique des termes et leur impact émotionnel », prévient Stéphanie Aubert, juriste en droit pénal, spécialiste du droit des conflits et auteure de travaux sur l’article 411 du code pénal. Quand Manuel Valls parle de « guerre contre le terrorisme », par exemple, l’expression a une forte portée symbolique, mais n’exprime pas une réalité du droit.

La juriste reconnaît que « le terrorisme et cet article sont tous les deux dans le livre IV du code pénal, donc on pourrait penser qu’il est possible que le 411-4 s’applique au terrorisme. Mais déjà, ce n’est pas l’esprit du texte, qui a été pensé pour les questions de trahison de l’Etat et d’espionnage, alors que le terrorisme a son propre chapitre, à part ».

Le sens des mots dans le texte est primordial, selon elle, pour bien interpréter l’article. « Quand il parle de “puissance étrangère”, c’est dans le sens d’un Etat souverain. Or, l’EI n’est pas reconnu comme tel dans le droit international. » L’expression « entreprise », quant à elle, est employée dans le sens d’une personne morale, ce qui n’est pas le cas du groupe terroriste. En revanche, on pourrait considérer l’EI comme une « organisation étrangère », mais l’esprit de la loi au départ visait plutôt, selon elle, les organisations qui avaient un lien avec un Etat souverain.

« Ça ne tiendrait pas »

Par ailleurs, l’infraction liée à l’article 411-4 du code pénal est spécifiquement de « susciter des hostilités ou des actes d’agression vis-à-vis de la France ». Là aussi, on pourrait croire que les djihadistes rentrent dans ce cadre en suivant le sens commun de ces expressions, mais ce n’est pas le cas, selon Stéphanie Aubert.

Enfin, la juriste rappelle l’article 111-4 du code qui dit que « la loi pénale est d’interprétation stricte ». Le juge a une marge d’interprétation, mais il ne peut en principe pas étendre une règle à une situation voisine. Selon elle, un avocat « ambitieux » pourrait essayer d’utiliser l’article 411-4 contre un terroriste mais l’interprétation « ne tiendrait pas auprès de la Cour de cassation ».

Une idée déjà contestée par Christiane Taubira

Marine Le Pen, qui est titulaire d’un DEA de droit pénal, n’est pas la première à invoquer cet article du code pénal au sujet de la mouvance djihadiste française. Le député de l’opposition Claude Goasguen avait interpellé Christiane Taubira, alors ministre de la justice, sur ce sujet. La réponse, publiée début janvier 2016, notait un autre problème technique : contrairement à ce que dit la présidente du FN, la caractérisation de l’incrimination de l’article 411-4 est beaucoup moins large que celle pour terrorisme.

« En effet, l’incrimination de l’article 411-4, exige formellement un acte d’entretien d’intelligences. La caractérisation matérielle de l’infraction suppose de relever à l’encontre de son auteur l’accomplissement d’un comportement propre à nouer une relation d’entente avec une entité étrangère. Ce comportement implique la réalisation d’un acte positif, puisque les textes incriminent le fait “d’entretenir″ des intelligences. »

La caractérisation de l’incrimination serait d’autant plus délicate dans le cas évoqué par Marine Le Pen qu’il s’agit dans son esprit de viser les djihadistes présumés qui ne sont pas passés à l’acte. Ce que permet justement la qualification d’« association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes ».

Le groupe écologiste à l’Assemblée nationale avait lui aussi demandé l’utilisation de l’article 411-4 dans un rapport parlementaire sur la « surveillance des filières et des individus djihadistes » en 2015. Le rapporteur du texte, Patrick Mennucci (PS) avait répondu à l’époque que « la jurisprudence montre bien que ce sont les faits d’espionnage qui sont visés, si bien que l’on voit mal comment cette infraction pourrait s’appliquer en matière de terrorisme ».

En résumé, si l’idée de juger les djihadistes pour « crime d’intelligence avec l’ennemi » peut paraître séduisante sur le plan symbolique, il semble improbable de leur appliquer l’article 411-4 du code pénal en l’état actuel.