Visuel qui accompagne, sur Internet, l’annonce de la fin du mensuel « Magic ». | MAGICRPM

« Chères lectrices, chers lecteurs, comme l’ensemble du secteur de la presse, Magic, revue pop moderne connaît depuis quelque temps des difficultés économiques. Nous avons cherché des solutions, nous avons cherché des partenaires, des repreneurs, mais aucune piste ne s’est concrétisée. » C’est en ces termes que la rédaction du magazine musical a annoncé, le 9 mai, la fin d’une aventure née en mars 1995. A l’époque, le mensuel Les Inrockuptibles cesse sa publication quelques mois avant de passer à un rythme hebdomadaire. Un vide provisoire qui permet à Christophe Basterra, Philippe Jugé et Eric Pérez, réunis autour de Serge Nicolas – fondateur du fanzine Magic Mushroom – de proposer en kiosques leur revue mensuelle. Perdant son substantif fongique pour ne garder que son adjectif surnaturel : Magic, avec en sous-titre « la revue pop moderne » était née.

Avec 201 numéros derrière lui, le « décès » de Magic, selon le mot de Franck Vergeade, rédacteur en chef depuis février 2000 (mais qui y signait des papiers dès le premier numéro), est symptomatique des bouleversements apportés par Internet. « On a été une victime collatérale de la crise du disque, par la baisse des recettes publicitaires liées à la musique », avance Franck Vergeade. Il explique pourtant que les ventes en kiosque et les abonnements étaient stables. Mais cela n’a pu compenser le déclin des revenus de la publicité sur Internet, et encore moins assurer la survie du magazine.

Pourtant Magic, dès le départ, avait élaboré un projet multimédia. Dès 1997, bien avant la généralisation des webradios ou des podcasts, le lecteur pouvait appeler une hotline, et y écouter des morceaux, l’album et le single du mois, ainsi qu’une sélection de la rédaction. Et à l’époque du Minitel, on pouvait participer à des jeux permettant de gagner des numéros du magazine ou des abonnements. Ces expériences précoces soulignent un souci de synchronisation avec l’époque. Et même si Magic s’est rapidement dédoublé gratuitement sur le web dès 2001, ce virage numérique a été décisif.

Anémie

La presse musicale en France remonte aux années 1960. Et au fil des décennies, et de l’apparition des nouveaux genres musicaux, elle s’est enrichie : la presse rock dans les années 1970, métal et indie pop pendant les années 1980, rap, reggae et techno dans les années 1990. Mais aujourd’hui, celle-ci, quand elle n’est pas à destination des instrumentistes ou des professionnels, connaît une sérieuse anémie et ces dernières années, la tendance est à la raréfaction. Ont ainsi disparu Voxpop en 2012, la brève expérience Volume en 2009, tentée par quelques membres des Inrockuptibles, Radikal en 2005, le vétéran Best – fondé au milieu des années 1960 – en 2000. Pour ne citer qu’eux.

Selon Gérôme Guibert, sociologue spécialiste des musiques populaires et des médias de masse, maître de conférences à l’université Sorbonne-Nouvelle-Paris III et fondateur de la revue Volume !, « la presse musicale est générationnelle » : une génération de lecteurs s’attache à quelques titres, sans renouveler ses affinités. «Après Rock & Folk, puis Les Inrocks, il y a eu la génération Magic. Vers 2005, la dernière enquête lectorat indiquait que le lecteur de Magic avait 32 ans en moyenne », indique le chercheur. Ce lecteur aurait aujourd’hui 43 ans. « Selon les études, l’attachement à la musique est le plus important lors de la construction de la personnalité, souligne-t-il. Une fois installé ou lancé dans la vie professionnelle, la musique passe au second plan… »

Un rôle de défrichage devenu obsolète

Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), Les Inrockuptibles ont perdu 34,3 % de leur diffusion totale entre 2011 et 2015; Rock & Folk a vu sa diffusion diminuer de 17,4 % sur la même période. Ces deux titres restent les deux plus importants en termes de tirage avec 38 648 exemplaires (en moyenne cumulés par mois) pour l’hebdomadaire Les Inrockuptibles et 31 113 pour le mensuel Rock & Folk, en 2015. A côté gravitent de nombreux titres dont Trax, Tsugi, Modzik, Gonzaï et new Noise

Bester, rédacteur en chef du magazine Gonzaï, regarde ce marché avec une certaine amertume. Pour lui, « le lecteur du net est devenu fainéant à cause des réseaux sociaux et il n’a plus la culture du magazine rock ». Mais il avance aussi que le rôle de défrichage et de prescription qui incombait auparavant à cette presse est en passe de devenir obsolète. « Avec Internet, le lecteur peut se passer du magazine pour se faire son propre avis. Au sujet du dernier album de Radiohead, je suis sûr que la majorité des fans l’avaient déjà écouté et s’étaient fait un avis avant la Une des Inrockuptibles. »

Quelques couvertures emblématiques du  mensuel « Magic RPM » | MAGICRPM

Magic avait construit sa réputation sur un volumineux cahier critique, apprécié de ses lecteurs. « C’est ce qui faisait la qualité de Magic, l’exigence d’écriture et de vraies chroniques avec de vrais arguments de connaisseurs qui ne se contentaient pas de relayer les communiqués de presse des maisons de disques », détaille Gérôme Guibert. Sur les 201 numéros, l’équipe de rédaction a accordé de nombreuses Unes à des artistes aujourd’hui couronnés de succès, mais qui à l’époque en étaient encore loin. Phoenix dès leur premier album en juin 2000, un dossier consacré au label électro F communication en janvier 1996, avant la Victoire de la musique en 1998 de Laurent Garnier. Ou encore Benjamin Biolay en avril 2003…

De forts partis pris

Tout en assumant de forts partis pris qui ont forgé l’identité du journal. « Le magazine a eu ses tendances fortes au fil des rédacteurs en chef, insiste Gérôme Guibert. La French Touch au début sous la direction de Philippe Jugé, puis la New Wave avec Basterra, enfin la chanson et la pop made in France sous l’influence de Franck Vergeade. »

« Comment prescrire à l’âge d’internet ? C’est la question que je me pose aujourd’hui, mais je m’interrogeais déjà il y a dix ans. Notre mission, on pouvait la résumer en cette formule bien connue : trier le bon grain de l’ivraie », s’interroge Christophe Basterra, un des cofondateurs de Magic, aujourd’hui professeur des écoles en Auvergne.

Personne ne semble savoir répondre à cette question, beaucoup s’en désintéressent, et de nombreux titres existent aujourd’hui exclusivement sur le net. « Les rédactions web font preuve d’un panurgisme absolu », résume Bester qui, à rebours des tendances, a couché Gonzaï sur le papier en janvier 2013, et dans les kiosques en février 2016. Ce que regarde Gérôme Guibert avec bienveillance, dressant un parallèle avec ce que vit depuis quelques temps le monde du disque: « au début des années 2000, on annonçait la mort du support physique. Mais aujourd’hui, on observe un retour du vinyle. Nous n’allons pas de nouveau assister à une explosion du magazine musical, mais au même titre que le vinyle, certains formats vont tirer leur épingle du jeu. Comme les mooks [contraction de magazine et de book], les livres ou les revues, telle Audimat qui délaissant l’actu, fait du long et du fond. »