François Hollande et Recep Tayyip Erdogan, le 30 novembre 2015 | PHILIPPE WOJAZER / AFP

Par un collectif d’avocats

La Turquie est géographiquement comme politiquement aux portes de l’Europe. Elle a su entrer dans le vingtième siècle en se donnant les bases d’un état moderne et laïc. Après s’être débarrassée des chimères militaristes, elle s’est dotée d’institutions démocratiques et a adhéré à la Convention européenne des droits de l’Homme. Ce mouvement vertueux, après avoir surmonté les secousses tragiques de l’histoire, se heurte aujourd’hui aux forces qui tirent la Turquie vers une régression significative de l’état de droit et des libertés fondamentales.

Les opposants sont interpellés, poursuivis et emprisonnés parce que kurdes, parce que communistes, parce que syndicalistes… Les journalistes sont interpellés, poursuivis et emprisonnés parce qu’ils dénoncent l’arbitraire de ces procédures… Les avocats sont interpellés, poursuivis et emprisonnés parce qu’ils défendent opposants et journalistes… Les juges à leur tour sont menacés s’ils osent faire application de la loi, c’est-à-dire imposer le respect des libertés garanties par les grands traités internationaux dont la Turquie est signataire.

Depuis le 6 avril dernier, deux avocats turcs – Ramazan Demir et Ayse Acinikli – sont emprisonnés pour avoir défendu des opposants. Deux avocats qui défendaient opposants et journalistes. Nous ne pouvons pas nous taire.

Si les avocats se taisent, les libertés seront définitivement étouffées. L’avocat est au cœur de l’Etat de droit, barrière ultime contre l’arbitraire. Défendre Ramazan Demir et Ayse Acinikli c’est défendre la liberté.

La grandeur de nos nations repose tout entière dans le message de paix et de liberté qu’elles ont apporté au monde. Ne rien faire aujourd’hui c’est laisser résonner à nos oreilles de démocrates la complainte coupable du pasteur allemand antinazi Martin Niemöller (1892-1984), auteur du célèbre discours « Quand ils sont venus chercher ». Ne rien faire aujourd’hui, c’est briser le message de paix et de liberté que la Déclaration universelle des droits de l’Homme a apporté au monde.

Ne rien faire aujourd’hui, c’est laisser triompher tous ceux qui voudraient abattre l’état de droit. C’est pourquoi nous appelons le président de la République, le premier ministre, le Garde des sceaux et le ministre des affaires étrangères à demander officiellement la libération des avocats emprisonnés en Turquie.

Cette tribune est notamment signée par Pascal Eydoux (ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Grenoble, président du Conseil national des barreaux), Sonia Gumbert (bâtonnier de l’Ordre des avocats de Madrid), Patrick Henry (ancien batonnier de l’Ordre des avocats de Liège, président de l’Ordre des barreaux francophones et germanophones de Belgique), Karim Lahidji (avocat au barreau d’Iran, président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme), Henri Leclerc (avocat au barreau de Paris, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme), Yves Mahiu (ancien bâtonnier de Rouen, président de la Conférence des bâtonniers), Grégoire Mangeat (bâtonnier l’Ordre des avocats de Genève), Frédéric Sicard (bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris), et Jean-Jacques Uettwiller (avocat au barreau de Paris, président de l’Union Internationale des avocats). Retrouvez la liste complète des signataires sur le site de la FIDH.