Sur la scène d’Ubisoft, sans effets spéciaux. | KEVORK DJANSEZIAN / AFP

Annulez tout, l’E3 n’est pas mort. Le salon annuel du jeu vidéo, qui ouvre officiellement ses portes du 14 au 16 juin à Los Angeles, mais dont les conférences ont commencé dès dimanche, a rappelé durant la nuit de lundi à mardi ce qui faisait son charme et son intérêt. Oh, trois fois rien : une subtile et indéfinissable alchimie entre impatience, surprise, monumentalisme et loufoquerie.

La nuit ne nous aura rien épargné. La fanfare de, non pas une, mais deux nouvelles consoles annoncées chez Microsoft, dont l’une présentée de manière aussi phallique qu’embarrassante, comme la plus grosse cylindrée jamais sortie – « un monstre », dira même le constructeur, si sûr de son instrument qu’il en sortira les mensurations, 6 téraflops, et encore, au repos. À en croire l’excitation dans la salle, aucun doute, la jamboree n’attendait rien d’autre que cela : du déballage de superlatif, de la communication musculeuse, ce je-ne-sais-quoi de chiffré, mesurable, comparable, où la passion de l’informatique le dispute à la mentalité de vestiaire.

Nous forts. Nous grosse console. Toi vouloir grosse console nous. | Casey Rodgers / Invision for Microsoft

Pourtant, l’E3 sait aussi s’extraire à la rationalité comparatiste, pour jouir des joies simples et acidulées du grand n’importe quoi. Demandez à Ubisoft : cela fait désormais plusieurs années que de nombreux joueurs, fussent-ils complètement hermétiques aux productions de l’éditeur français, continuent de suivre sa conférence annuelle pour le plaisir purement rétinien de l’expérience psychédélique, du foutraque organisé, de la communication sous substances louches. Don’t Stop Me Now de Queen, des danseurs déguisés en girafe, une guitare en forme de papillon géant : la base, en somme.

Héros en mousse

L’E3, dans ses meilleurs moments, est à l’image de la culture jeu vidéo : un paratonnerre de second degré qui nous protège contre les éclairs de sérieux qui sans cesse menacent, frappent et nous plombent. Sans le strass du cinéma, mais avec un certain sens du kitsch.

Hideo Kojima, légende vivante du jeu vidéo. Rien que ça. | ROBYN BECK / AFP

Et puis, il y a ces moments d’apesanteur, où soudain l’industrie de la manette, tantôt si intéressée par la mesure de son appareil graphique, tantôt si débraillée, effleure quelque chose qui résonne en nous. Un moment, comme celui qu’a réservé l’arrivée sur scène de Hideo Kojima, créateur historique de Metal Gear Solid, à la conférence de Sony, pour présenter Death Stranding, sa nouvelle production. Morbide, langoureux, paternel, lynchéen, vulnérable, fantasmagorique… les mots manquent, ou bien s’entrechoquent, pour dire l’étrangeté et la beauté subjugante de sa bande-annonce.

Alors voilà, l’E3 n’est pas mort, il continue de surprendre, et c’est tout ce qu’on lui demande. Personne à Los Angeles n’est dupe de sa vocation profonde de grand raout publicitaire ; les observateurs ici présents savent bien, qu’aux yeux de cette industrie mercantile, ils ne sont que des relais de communication dans la stratégie des grandes firmes. Mais ils s’y emploient, à cette petite condition que l’E3 continue d’être cette grande cour de récréation puérile et rigolote, ce Game of Thrones en plastique, fait de néons, de projecteurs et de costumes de héros en mousse, qui protègent contre les ravages du temps, du sérieux et de la vie adulte. Bref, un salon qui a la bienveillance de nous prendre pour ce que nous ne sommes plus.

« Take my money »

Sur Twitter, une question, inévitable : qui a gagné l’E3 ? Qui a envoyé le plus de kilogrammes de rêve par conférence ? Qui a écrabouillé avec le plus de nonchalance le reste de la concurrence ?

Durant la conférence Sony, un spectateur n’a pu s’empêcher de brailler un « take my money » (« prenez mon argent ») qui, sur l’échelle de la conviction du consommateur, représente le maximum auquel peut théoriquement prétendre n’importe quel acteur, et surtout le constructeur de la PlayStation cette nuit, qui avait amené un orchestre symphonique complet pour présenter ses jeux et annoncer la sortie officielle de son casque PlayStation VR.

En fait, il a assez vite été décrété que Sony avait encore remporté l’E3, comme en 2015. Et tant pis si Nintendo n’a pas encore tenu son événement. Et tant pis si encore deux heures plus tôt, c’était Microsoft que tout le monde louait. Toute la nuit, les conférences de l’E3 étaient au sommet des sujets de discussion sur Twitter. Et rien n’a été laissé de côté.

Pas Scalebound, le jeu Xbox One qui mettra en scène des combats contre d’impressionnants crabes géants.

Pas non plus l’évolution des relations entre Vivendi et Ubisoft, à la lumière de la conférence olé olé de l’éditeur français.

Ni non plus le fait que 6 téraflops pour le projet Scorpio de Microsoft, c’est 4,16 téraflops de plus que la PlayStation 4, mais que personne ne sait ce qu’est un téraflop, à part que ça a un nom de Pokémon rigolo, ni comment on s’en sert dans une phrase.

Le programme du jour

Le dernier événement pré-E3, c’est la téléconférence de Nintendo, également affectueusement surnommée « conférence pyjama », puisque, celle-ci n’étant diffusé que sur Internet, les journalistes jetlagués peuvent exceptionnellement la couvrir de chez eux, en pyjama. Les plus professionnels mettent toutefois une cravate. Du coup, le programme du jour est relativement succinct :

  • Nintendo

C’est qui ? Le constructeur de la 3DS et de la Wii U, spécialisé dans les jeux pour les trentenaires (les enfants, eux, jouent de toute façon à Call of Duty).
Pourquoi suivre sa conférence ? Parce que The Legend of Zelda. Et Pokémon. Et parce qu’avec celles d’Ubisoft, les vidéos de Nintendo sont chaque année les plus drôles et les plus inventives.
Où la suivre ? Sur Twitch ou YouTube.
A partir de quelle heure ? 9 heures à LA, 18 heures en France.

Les paris idiots de Pixels

Nintendo n’annonce aucun nouveau jeu, mais une bagatelle de contenu additionnel téléchargeable sur les jeux Wii U déjà sortis. Dans Super Smash Bros., ce sont de nouvelles guest stars : après Pac-Man, Megaman, Solid Snake ou encore Sonic, le constructeur joue son va-tout et invite Blanka de Street Fighter II, les Bomberman, et Tic et Tac rangers du risque. Sentant qu’il manque encore des figures des années 1990, il annonce également Hugo Délire, Kubiak de Parker Lewis ne perd jamais et Brenda de Beverly Hills.

Dans Mario Kart 8, Nintendo racle également les fonds de tiroirs : un circuit est un écran de Tetris, un autre une grille de sudoku, le troisième, le plus rapide, la courbe des ventes de la Wii U.

Pour Star Fox Zero, le jeu de tir intergalactique, le constructeur japonais introduit une mission bonus d’une heure, qui permet à l’aventure principale de désormais durer 1 h 45.

C’est toutefois dans les joutes de peinture colorées de Splatoon que les contenus additionnels de Nintendo font sensation. Deux nouveaux personnages sont introduits, Oves Guillemut et Vincé Bollorent (toute ressemblance avec des personnalités réelles serait fortuite), qui s’affrontent rouleau de peinture à la main, chacun devant aller taguer le camp de l’autre jusqu’à le faire disparaître. Pour pimenter la partie, Nintendo introduit quelques subtilités : Vincé Bollorent a des munitions de peinture illimitées, mais seul Oves Guillemut sait comment peindre. Une bonne toile en perspective.