L’ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique Laurence Tubiana, lors d’une cérémonie à l’Elysée, le 22 décembre 2015. | ETIENNE LAURENT / AFP

Que retenez-vous de la session de négociation de Bonn du 16 au 26 mai, la seule étape onusienne d’ici à la conférence climat de Marrakech – COP 22 – en novembre ?

La première chose à retenir de cette session de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [CCNUCC], c’est qu’il n’y a pas eu de tentative de renégociation de tel ou tel point de l’accord de lutte contre le réchauffement adopté en décembre 2015 à Paris. On est dans un mode d’acceptation du compromis trouvé à la COP21, ce qui n’était pas du tout gagné, les négociations s’étant conclues dans les dernières heures de la conférence.

Le deuxième enseignement, c’est que les gouvernements ont pris l’accord au sérieux et réfléchissent à sa mise en œuvre. Les débats sur les règles de travail en commun, le suivi des flux financiers, le contenu des contributions nationales [les scénarios des pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre] sont parfois difficiles, mais pas bloqués. La négociation devient beaucoup moins rhétorique dès lors qu’elle s’articule autour d’exemples concrets mis en œuvre par les pays. Si le Maroc, qui succédera à la France à la présidence de la COP le 7 novembre, parvient à imposer ce style, cela pourrait être le nouveau mode de travail des négociateurs pour ces prochaines années.

La session de Bonn a aussi permis de fixer un agenda de travail jusqu’au premier bilan mondial des engagements des pays, programmé en 2018. Est-ce une avancée importante ?

Oui. L’idée est de fixer 2018 comme terme de nos discussions sur les règles de mise en œuvre de l’accord de Paris puisque nous sommes sur une hypothèse d’entrée en vigueur de l’accord bien avant 2020.

L’hypothèse d’une ratification de l’accord de Paris dès la COP de Marrakech vous semble-t-elle envisageable ?

Pour atteindre les seuils de ratification avant Marrakech, il faut voir ce que fera l’Union européenne, pour qui l’enjeu d’une ratification des Vingt-huit avant Marrakech reste ouvert mais difficile. Les deux premiers émetteurs mondiaux, Chine et États-Unis, s’étant engagés à ratifier l’accord climat en 2016, il faut suivre désormais ce que feront les autres gros émetteurs que sont la Russie, le Japon et l’Inde. Le Japon semble se diriger vers une ratification rapide dès cette année, la Russie et l’Inde n’ont pas encore tranché.

L’UE avance en ordre dispersé sur ce processus de ratification…

L’Europe est divisée, c’est vrai. Des pays avancent rapidement, la Hongrie vient de terminer son processus de ratification, avant même la France. D’autres attendent que soit précisée la répartition des efforts de réduction des émissions entre les Vingt-huit. La présidente de la COP21 [la ministre de l’environnement Ségolène Royal] met toute son énergie à convaincre les récalcitrants. On y verra plus clair après le référendum britannique. Si le « Brexit » se confirmait, ça serait un choc pour l’unité de l’Europe.

Deux nouvelles coprésidentes des débats – « cochairs » – ont été nommées à Bonn. L’une d’entre elles vient d’Arabie saoudite, un pays récalcitrant pendant la COP21. Quel message y voyez-vous ?

La Saoudienne Sarah Bashaan [associée à la Néo-Zélandaise Jo Tyndall] connaît bien le processus. Par ailleurs, il est judicieux d’avoir un pays difficile aux commandes car cela l’oblige à faire la part des choses. L’Arabie saoudite ne récuse pas ce qui a été adopté à Paris même si ce sera toujours un pays qui exprimera ses difficultés. La diversification de l’économie post-pétrole est un immense enjeu pour Riyad. Le choix de cette coprésidence est aussi un signal politique.

Deux coprésidentes, une femme succédant à une autre à la tête de la CCNUCC, deux « championnes du climat »… Les femmes prennent-elles le pouvoir dans le dossier climat ?

Je ne crois pas au concours de circonstances. Il y a cinq ans, le milieu du climat et de l’énergie était un milieu très masculin. Les femmes impriment peut-être un style différent, mais surtout, elles ont compris l’intérêt de la cause et ont fait le constat que le climat était un espace politique plus ouvert, moins dominé par les hommes.

« La lucha continua » (« la lutte continue »), avez-vous lancé à l’adresse de la Mexicaine Patricia Espinosa, qui prendra les rênes de la Convention-cadre en juillet. La lutte contre qui ?

La lutte contre les résistances à une décarbonation de nos économies, condition nécessaire pour endiguer le réchauffement planétaire. Contre le conservatisme du secteur des énergies fossiles notamment, qui ne voit pas son avenir dans cette transition. Je suis très préoccupée par exemple par les raisonnements sur la prospection des pétroles profonds en Arctique. Il y a déjà trop d’exploitation des ressources fossiles, les entreprises devraient plutôt se désintoxiquer et investir sur un futur faisant la place aux énergies renouvelables

Lorsqu’une entreprise comme Total publie son « scénario 2°C », une stratégie tenant compte de l’objectif de limitation de la hausse du réchauffement à 2°C avant la fin du siècle, est-ce un tournant stratégique ou une opération réussie de « greenwashing » ?

On peut rester dans le greenwashing tant que la pression extérieure n’est pas suffisante pour transformer les déclarations en actes. Les mouvements chez les actionnaires sont intéressants à suivre. Si l’on avait les mêmes mouvements chez les consommateurs, cela créerait une dynamique nouvelle. On devrait lancer des campagnes d’information, à l’instar de ce que fait l’ancien vice-président Al Gore aux États-Unis. Avec sa fondation, il traque l’information carbone dans les produits. Il faut scruter aussi le mouvement de judiciarisation qui se développe autour du devoir de protection des populations face au changement climatique. Enfin, il y a l’introduction du risque carbone dans l’évaluation du risque des portefeuilles. Si tout cela se matérialise, alors Shell ou Total feront le travail.

Deux pans majeurs de l’économie mondiale, le transport aérien et le transport maritime, n’ont aucune contrainte de limitation de leurs émissions…

Pendant longtemps, aucun grand pays ou aucune grande compagnie aérienne ne s’intéressait à cette question. C’est différent aujourd’hui car les Etats-Unis et les Européens, c’est-à-dire les deux grands producteurs mondiaux d’avions de ligne, se sont emparés du sujet. Le fret maritime est un réel sujet de conflit entre pays développés et pays en développement car ces derniers – les pays asiatiques notamment – exportent par voie maritime. Il faut les rassurer sur le fait qu’il ne s’agit pas de pénaliser leurs produits.

Un autre secteur très émetteur de CO2, le charbon, met en avant l’argument de l’emploi pour s’exonérer de tout changement. Comment l’entraîner dans ce mouvement ?

Le sujet est social, même si dans certains pays comme l’Inde, la Pologne ou l’Allemagne, il se double d’un constat de dépendance au charbon. Ces pays sont confrontés à un problème de reconversion industrielle. Par ailleurs, les politiques d’efficacité énergétiques ne sont pas assez ambitieuses, alors qu’il y a un réel intérêt pour l’emploi, et pour les finances publiques, à économiser l’énergie. Et puis, il ne faut pas sous-évaluer le coût de santé publique considérable que représente le charbon.

La déception de ne pas avoir été choisie comme prochaine responsable de la CCNUCC est-elle encore vive ?

Evidemment, j’en avais envie puisque j’avais postulé à cette fonction. La CCNUCC est un lieu privilégié pour agir, d’autant que Christiana Figueres [actuelle patronne de la CCNUCC] a élargi le mandat du secrétaire exécutif, qui jouera à l’avenir un rôle important pour faire entrer l’économie réelle dans la Convention-cadre. J’y contribuerai en poursuivant mon mandat de championne du climat, en phase avec la championne marocaine Hakima El Haité, autour de trois axes : le soutien financier et technique à la mise en œuvre des contributions nationales car les pays ont besoin d’être concrètement rassurés sur ce point ; l’élaboration pays par pays de scénarios de décarbonation d’ici 2050 ; la mobilisation publique et privée autour de la recherche et l’innovation.

La France sort-elle affaiblie de cet échec à diriger l’instance des Nations unies sur le climat ?

Cela aurait pu être un prolongement intéressant de la présidence française de la COP qui s’achève en novembre et l’occasion d’assumer le rôle de gardien du temple de l’accord de Paris. Car tout reste à faire, les émissions mondiales n’ont pas décru. Il faut que la France trouve de nouvelles voies pour peser au-delà de mon mandat de championne et notre présidence qui va s’achever au début de la COP22. Cela pourrait se faire au niveau des collectivités locales : la maire de Paris Anne Hidalgo vient de prendre la responsabilité d’une coalition mondiale de collectivités locales engagées dans la lutte contre le changement climatique. Une chose est sûre, la France doit poursuive la bataille politique de l’après-Paris.