Une carte à jouer à l’effigie d’Eric Cantona. Le galeriste Kamel Nemmour a imaginé une série exposé chez Colette, à Paris, du 6 juin au 10 juillet. | Julie Joubert & archives Kamel Mennour, Paris

Des vignettes d’albums Panini à l’effigie de stars du design et de la mode, une exposition en hommage à Eric Cantona imaginée par Kamel Mennour, galeriste parisien de Daniel Buren et d’Anish Kapoor, et grand admirateur du « King » de Manchester United, des matchs diffusés dans son Water Bar : à l’occasion du championnat d’Europe de football qui se déroule à Paris du 10 juin au 10 juillet, le concept-store Colette élèvera le sport le plus populaire de France au rang de mondanité.

« Aujourd’hui, on assume parfaitement d’aller à un vernissage le vendredi soir, et de regarder un match le reste du week-end. » Guillaume Salmon, directeur de la communication de Colette

Opportunisme ou démarche sincère de la part de fans branchés enfin décomplexés ? Pour Guillaume Salmon, directeur de la communication de Colette et joueur amateur : « Aujourd’hui, on assume parfaitement de siroter des cocktails, d’aller à un vernissage le vendredi soir, et de regarder un match ou de taper dans un ballon le reste du week-end. » L’image du foot serait en pleine mutation. Son côté « beauf » s’effacerait derrière l’envie de « revenir à des valeurs fédératrices » comme le plaisir de jouer et d’être ensemble, indépendamment de ses origines et de son appartenance sociale.

Un avis que partage Pascal Monfort. Ce professeur de sociologie de la mode, chef de la mode au supplément Sport & Style du journal L’Equipe, s’est vu confier par les Galeries Lafayette la mission d’organiser des événements autour du ballon rond : tournois de jeux vidéo, vente au mètre d’écharpes de supporteurs, conférences sur les relations entre mode et foot… Par ailleurs, il ouvrira un bar éphémère, Le Ballon, dans le quartier parisien du Marais, ainsi qu’une exposition de jeunes artistes locaux – le bar avait déjà été ouvert lors de la Coupe du monde 2014.

A Paris, un bar éphémère et sa galerie ouvriront dans le Marais. Ici, le bar lors de la Coupe du monde 2014. | Le Ballon

Ces opérations ont pour but de « montrer le potentiel unificateur du sport sur le plan culturel, social et stylistique », souligne Pascal Monfort. L’an dernier déjà, il avait monté une ligue de foot composée de personnalités de la mode et des médias. « Il y avait de notre part une réelle envie de sortir des codes mondains, se souvient-il. Le foot est synonyme de solidarité, de fierté, de prouesse athlétique – tout ce qui manque à notre société. »

Les codes sportifs alliés à l’esthétique de la mode

Les marques de sportswear qui exploitent le filon ne sont pas en reste. Nike a laissé libre cours au directeur artistique de la maison Balmain. Olivier Rousteing signe une collection capsule noir et or, fusionnant les codes sportifs à son esthétique clinquante. Pour Adidas, l’Allemand Juergen Teller, photographe de mode et supporteur du Bayern Munich, a réalisé une série de portraits de Paul Pogba, grand espoir du foot français, à paraître dans un fanzine distribué par la marque pendant la compétition.

Plus surprenant : dix créateurs à l’univers éloigné des stades ont accepté pour Yoox.com, la boutique de vêtements en ligne, d’imaginer un top unisexe inspiré par le football. Ainsi, J. W. Anderson utilise le trèfle pour symboliser son pays, l’Irlande ; Dries Van Noten parsème son modèle d’écussons ; Paul Smith coiffe un ballon du mot « Peace ». « Le football, comme la mode, a toujours créé ses propres règles faisant fi des normes de la société », analyse Luca Martines, président de Yoox.com.

Pour l’Euro 2016, J.W. Anderson et Paul Smith ont imaginé des tee-shirts pour Yoox.com. | Yoox

C’est dans ce même esprit que, pour leurs collections automne-hiver 2016-2017, le créateur russe Gosha Rubchinskiy et la marque chinoise Sankuanz se sont réapproprié les tenues de supporteurs, les transformant en pièces de luxe. Pour Safia Bahmed-Schwartz, artiste et rappeuse parisienne, qui participe à l’exposition organisée par Pascal Monfort, cette revalorisation du foot par les branchés serait un phénomène générationnel porteur d’un message politique. « Les trentenaires qui redécouvrent le foot étaient enfants en 1998, au moment de la victoire des Bleus. Une époque où on était fiers, unis, champions, avec des héros nationaux de toutes les couleurs et de toutes les religions. Le foot, c’est peut-être cela : un rempart contre les clichés dangereux qui circulent. »