« Il ne s’agit pas de nier les faits mais de retrouver un peu d’intelligence, de pondération, de sérénité face au simplisme, à « la défaillance intellectuelle » et à « la faiblesse argumentative » (Photo: Benzema et Deschamps lors du mathch Géorgie-France en 2014). | FRANCK FIFE / AFP

Karim Benzema a reproché à Didier Deschamps, le sélectionneur de l’équipe de France de football, d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en ne le sélectionnant pas pour l’Euro 2016 qui se déroulera sur le territoire national. Une polémique qui met au jour les fractures françaises.

L’historien Emmanuel Debono met en garde contre une lecture raciale des sélections sportives ou artistiques. Il souligne que « la manière dont la déclaration de Benzema enflamme l’actualité et produit des commentaires approximatifs témoigne du raidissement extrême de notre société sur les questions de racisme et d’identité ».

Corollaire de ce bouillonnement, relève Emmanuel Debono : est-il « possible d’aborder les sujets du sentiment d’appartenance et de la construction identitaire sans se trouver accusé de vouloir mettre le feu à la France et à la République » ?… Il ne s’agit pas de nier les faits mais de retrouver un peu d’intelligence, de pondération, de sérénité face au simplisme, à « la défaillance intellectuelle » et à « la faiblesse argumentative ».

L’ethnologue et anthropologue Jean-Loup Amselle appelle à cesser de prendre les joueurs pour des « subalternes »…Même s’ils sont millionnaires et starisés, les footballeurs d’origine immigrée continuent de faire l’objet d’un traitement de « défaveur » par l’opinion.

L’affaire plus généralement « renvoie à un passé colonial que les uns et les autres se refusent à oublier pour aller de l’avant, et qui pèse de tout son poids chaque fois que surgit un scandale opposant un ressortissant ou un descendant originaire d’une ancienne colonie française à un Français citoyen de la métropole de l’ex-empire colonial ». Il accuse les médias d’avoir rendu un mauvais service à la France, en mettant en avant la génération « black-blanc-beur » de 1998 « puisqu’ils ne faisaient en cela que réitérer de façon symétrique et inverse le modèle propagé par le FN et son président, tout disposés à admettre que les Blacks et les Beurs, s’ils étaient physiquement supérieurs aux Blancs, n’en étaient pas moins intellectuellement inférieurs à ces derniers ».

L’anthropologue estime qu’en définitive, « le reproche qui est fait à Didier Deschamps n’est pas tant d’être raciste que d’être « blanc », occupant ainsi une place qui pourrait l’être par un Noir ou un Arabe », l’affaire Benzema, étant le symbole d’une fracture raciale dont la France est l’objet, d’un passé qu’elle n’a pas encore soldé.

A lire sur le sujet :

« Le piège identitaire des racismes réciproques s’est refermé sur l’Euro 2016 », par Jean-Loup Amselle, ethnologue et anthropologue. L’affaire Benzema montre que la France est l’objet d’une fracture raciale qui révèle l’existence d’un passé colonial « en attente de liquidation ».

« Toute décision qui revêt un caractère sélectif » doit-elle « être passée au crible de la question des origines et de la couleur » ?, par Emmanuel Debono, historien à l’Institut français de l’éducation de l’Ecole normale supérieure de Lyon. La déclaration du joueur du Real Madrid et la polémique qu’elle a suscitée montrent à quel point le débat se tend dès lors qu’il est question d’identité.

A lire aussi :

« Le football professionnel participe de cette ethnicisation de la société », par William Gasparini, sociologue, professeur à l’université de Strasbourg, titulaire de la chaire européenne Jean-Monnet en sociologie du sport.