Grosse colère du président du conseil général du Nord, lundi 13 juin, en séance plénière. « Estelle Grelier [secrétaire d’Etat chargée des collectivités territoriales] se fout de notre gueule !, s’enflamme Jean-René Lecerf. La proposition de l’Etat est inacceptable, immorale, pour ne pas dire ignoble ! »

Le gouvernement propose de reprendre aux départements, à partir de 2017, le versement du revenu de solidarité active (RSA), ceux-ci devant régler la dépense à l’Etat sur la base d’une année de référence. Le gouvernement a choisi 2016. C’est ce que M. Lecerf ne digère pas. De fait, l’Assemblée des départements de France (ADF) souhaitait que l’année de référence soit antérieure à 2014. « L’année 2016 de référence est la pire période pour l’emploi, souligne Jean-René Lecerf, soutien d’Alain Juppé. Pour le département du Nord, le reste à charge du RSA sera de l’ordre de 300 millions en fin d’année. Donc, à partir de 2017, nous devrions faire un chèque chaque année à l’Etat de 300 millions d’euros ? » Face aux journalistes, l’ancien sénateur tonne : « Si la recentralisation du financement du RSA, c’est ça, ils peuvent se le garder ! »

En début de séance plénière, il lance aux conseillers départementaux, parmi lesquels le socialiste Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports : « Le département subit une double peine : la baisse des dotations de l’Etat et l’envolée des dépenses de solidarité. »

Les dotations de l’Etat au Nord, passé à droite aux élections départementales de mars 2015, ont baissé de 37,5 millions d’euros cette année (pour un budget total de 3,7 milliards d’euros). Parallèlement, le nombre d’allocataires du RSA a explosé : + 21 % depuis 2011, dépassant la barre des 151 000.

Une situation financière explosive, comme en Seine-Saint-Denis : cela a représenté 660 millions d’euros pour le Nord en 2015. Les élus de la majorité ont donc décidé de « se battre » pour le retour à l’emploi des allocataires du RSA. Fin avril, la première plate-forme pour l’emploi a été inaugurée. Un « Pôle emploi bis » qui ne s’arrête pas là.

Lundi 13 juin, les élus ont décidé de réduire les crédits de l’insertion sociale (41 % de l’enveloppe globale dédiée à l’insertion en 2017, contre 66 % en 2015) au profit de l’insertion professionnelle (59 % en 2017 contre 34 % en 2015 %). Pour ce faire, ils ont demandé à la Commission nationale de l’informatique et des libertés l’autorisation de croiser leurs fichiers avec ceux de Pôle Emploi et de la CAF (qui instruit les demandes de RSA). « On s’est rendu compte que 45 000 allocataires du RSA qui devaient être suivis par Pôle Emploi ne l’étaient pas, explique Olivier Henno, vice-président en charge de l’insertion. Ils ne s’étaient pas réinscrits ».

Les bénéficiaires du RSA doivent en effet s’engager soit dans un « projet personnalité d’accès à l’emploi » (PPAE) avec un conseiller Pôle emploi, soit à signer un Contrat d’engagements réciproques élaboré avec un référent départemental. « Sur les 108 000 allocataires touchant le RSA socle [versé à ceux qui n’ont aucune activité professionnelle], 70 % avaient déclaré être suivis par Pôle emploi, et 30 % par le département. Or, assure Olivier Henno, près de la moitié de ceux censés être suivis par Pôle emploi ne le sont pas. »

« Opération vérité »

Sur les 45 000 allocataires concernés, 5 000 ont d’ores et déjà reçu un courrier du président du conseil départemental du Nord, accompagné de la Charte des droits et devoirs des allocataires du RSA. Il leur est demandé de régulariser leur situation sous peine de sanctions : d’abord une réduction de 100 euros du montant du RSA à une suspension de quatre mois, puis une radiation. A ce jour, mille personnes seulement ont répondu.

« C’est une opération vérité, estime le centriste Olivier Henno. Mais on ne culpabilise pas. On met de la gouvernance et de la rigueur. » L’expérimentation va être généralisée en septembre aux 45 000 allocataires qui ne sont plus inscrits à Pôle emploi.

Comment expliquer ces chiffres ? De nombreux chômeurs ont baissé les bras, préférant trouver un travail par leurs propres moyens. Il y a aussi ceux « qui ne veulent pas se remettre au boulot », reconnaît M. Lecerf, qui précise cependant : « mais je ne crois pas qu’il y ait 70 % des allocataires au RSA qui soient accessibles à l’emploi à court ou moyen terme. Il n’y a pas eu de suivi sur le dossier. Parmi ces personnes, il y a ceux qui ont des soucis de santé, et vont glisser dans une autre catégorie, par exemple. »

Le recoupage des fichiers pourrait faire chuter le nombre d’allocataires. Et la collectivité territoriale pourrait rapidement diminuer ses dépenses de plusieurs millions.

Les bénéficiaires du RSA contrôlés devraient également s’empresser de se réinscrire à Pôle emploi. Cela pourrait faire remonter en flèche le nombre de chômeurs dans le Nord (173 000 en avril 2016). A moins d’un an de la présidentielle, Jean-René Lecerf n’en a cure. Il affirme que son objectif est de redresser les finances. Depuis des mois, il fait savoir que l’échec des négociations sur le versement du RSA avec le gouvernement, c’est 100 millions d’euros en plus à la charge du département. Cela impliquerait une augmentation de 4,4 points de la fiscalité.

Par ailleurs, sur les deux derniers mois de 2016, la CAF devra payer le RSA à la place du conseil départemental. « Et cette situation pourrait parfaitement avoir pour conséquence la mise sous tutelle du département », si les finances de celui-ci devenaient trop fragiles, a d’ores et déjà prévenu Jean-René Lecerf.