People walk past damaged houses on May 22, 2016 in Diyarbakir, southeastern Turkey, following clashes between Turkish forces and Kurdish militants. Violence spiked again over the last week, with eight soldiers dying in a single operation against the PKK also in Hakkari province and 16 villages blown up in the province of Diyarbakir after intercepting a truck laden with PKK explosives. | ILYAS AKENGIN / AFP

Non revendiqué, l’attentat à la voiture piégée qui a fait onzemorts et trente-six blessés, mardi 7 juin à Vezneciler, au cœur du quartier historique d’Istanbul, a deux auteurs possibles : l’organisation Etat islamique (EI) ou le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, autonomiste, interdit en Turquie). Les djihadistes et les rebelles kurdes ont perpétré chacun deux des quatre attaques-suicides qui ont ensanglanté Ankara et Istanbul depuis le début de l’année. Fort de ses cellules dormantes en Turquie, l’EI a la capacité d’organiser ce genre d’action ; toutefois, le mode opératoire utilisé mardi rappelle plutôt celui du PKK, en guerre contre l’Etat turc depuis trente-deux ans.

A Vezneciler, l’explosion d’une voiture a été déclenchée à distance au passage d’un fourgon de police. Quelques semaines plus tôt, le 12 mai, le même scénario s’était déroulé à Sancaktepe, un quartier périphérique d’Istanbul. Au moment où un bus rempli de soldats passait sur une avenue, une voiture piégée avait sauté, faisant sept blessés. Le PKK avait revendiqué l’attentat quelques jours plus tard. Le 10 mai, à Diyarbakir, la grande ville kurde du sud-est de la Turquie, trois personnes avaient été tuées et quarante-cinq autres blessées dans l’explosion d’une voiture piégée au passage d’un car de police, une action également menée par le PKK.

Après une courte accalmie – de 2010 à 2015, lorsque des pourparlers de paix étaient en cours –, la guerre a repris de plus belle entre les forces d’Ankara et les rebelles kurdes armés. De négociations, il n’est plus question. « Nous allons lutter contre le terrorisme jusqu’à la fin du monde », a fait savoir le président turc, Recep Tayyip Erdogan, en sortant d’une réunion du conseil de sécurité nationale, mardi.

Ces derniers jours, l’aviation turque a mené des frappes dans les régions de Diyarbakir et d’Hakkari, à la frontalière de l’Iran et de l’Irak, sur les positions du PKK. Les opérations menées par les forces spéciales pour en finir avec les « soulèvements urbains » organisés dans plusieurs villes du sud-est par le PKK ont fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de 200 000 personnes.

Depuis que les hostilités ont repris, en juillet 2015, 5 000 militants du PKK et des centaines de civils ont perdu la vie, près de 500 soldats et policiers ont été tués. Les centres-villes d’une dizaine de localités kurdes (entre autres Sur, Nusaybin, Cizre, Silopi, Sirnak, Yüksekova) ne sont plus que ruines.

Camion de TNT à Sarikamis

Les rebelles kurdes sont de plus en plus enclins à utiliser les explosifs. Une vidéo montrant l’explosion télécommandée d’un blindé turc transportant des soldats a été vue plus de 130 000 fois sur YouTube. L’attaque (quatre morts) a eu lieu à Hakkari le 18 mai. Le 10 mai, un camion rempli de TNT a explosé aux abords de Sarikamis, une localité non loin de Diyarbakir, causant la mort de seize personnes (officiellement quatre victimes identifiées et douze portées disparues). L’explosion a laissé un cratère de 5 mètres de profondeur et de 20 mètres de large. Apparemment, des villageois de Sarikamis voyant passer un camion suspect auraient essayé de l’arrêter à la sortie du village. Une échauffourée entre les occupants du camion, des militants du PKK et les villageois aurait conduit à l’explosion du véhicule.

Comme dans les années 1990, le sud-est de la Turquie est à feu et à sang mais, cette fois-ci, la guerre a une dimension régionale. Ainsi, la propension du PKK à utiliser des charges explosives guidées à distance, ou encore les engins piégés dans les villes reprises par les forces turques, lui vient de l’expérience acquise en Syrie. Ses militants y combattent aux côtés des YPG, la milice kurde syrienne qui est le bras armé du Parti de l’union démocratique (PYD), en lutte contre les djihadistes de l’EI.

Missile russe contre un hélicoptère de l’armée

Les succès des Kurdes syriens sur le terrain – ils mènent une offensive contre les fiefs de l’EI, à Manbij et Rakka – et la perspective de voir une autonomie kurde émerger un jour dans le nord de la Syrie donnent des ailes au PKK, bien décidé à acculer la Turquie. Le 14 mai, le parti kurde a posté la vidéo d’un combattant en train d’abattre un hélicoptère Cobra de l’armée turque avec un missile sol-air portatif. Les faits se sont produits le 13 mai dans la province d’Hakkari, où six soldats venaient d’être tués au cours d’une opération. Envoyé en renfort, l’hélicoptère s’est écrasé et ses deux pilotes sont morts.

Après avoir évoqué un incident mécanique, l’état-major turc a reconnu que le Cobra avait essuyé un tir de missile. Selon les experts, il s’agirait d’un missile russe de type Igla (9K38 Igla, répertorié comme SA-18 Grouse par l’OTAN), tiré depuis Çukurca, non loin de la frontière avec l’Irak.

Qu’une arme russe de fabrication récente se retrouve entre les mains du PKK en dit long sur le risque de régionalisation du conflit syrien, où Moscou et Ankara s’affrontent par rebelles interposés. Principal soutien de Bachar Al-Assad, le Kremlin joue la carte kurde en armant les milices présentes à Afrine, l’un des trois cantons kurdes du nord-ouest de la Syrie, et en leur offrant un appui aérien. Ce fut le cas récemment lorsque les YPG s’emparèrent d’une partie du corridor entre Alep et Azaz, principale voie d’approvisionnement des rebelles syriens anti-Assad soutenus par Ankara.

Le 27 avril, à Moscou, à l’occasion de la conférence annuelle sur la sécurité internationale, le député russe Semion Bagdasarov avait menacé : « Si Washington et ses alliés actionnent leur plan B », soit la livraison de missiles sol-air à la rebellion syrienne, « les Kurdes en recevront eux aussi ».