N’y allons pas par quatre chemins : il est difficile de trouver sujet plus important que le plancton. Si le plancton meurt, l’océan meurt. Et si l’océan meurt, nous mourons aussi. Ce n’est pas plus compliqué. Pourtant, qui, hormis les biologistes, se soucie de ce monde fugace qui dérive au gré des courants marins ? Qui se préoccupe du plancton ? Depuis treize ans, la célèbre goélette Tara a certes mis à profit ses médiatiques expéditions autour du globe pour communiquer sur le sujet, mais populariser la science ne suffit pas.

Directeur de recherche émérite au CNRS, Christian Sardet a fait de cette certitude une seconde carrière. Voilà une demi-douzaine d’années, associé au duo d’artistes Les Macronautes (Noé Sardet et Sharif Mirshak) autour du projet « Chroniques du plancton », il s’est mis en tête d’appliquer les techniques d’imagerie qu’il utilisait en laboratoire pour saisir et donner à voir l’extraordinaire variété de formes, de couleurs et de comportements de ce bestiaire marin pour l’essentiel indécelable à l’oeil nu. Il expose son travail au festival Kyotographie, qui se tient jusqu’au 22 mai dans l’ancienne capitale impériale du Japon. Exposition qui sera visible à la Fondation Cartier, à Paris, à partir du 2 juillet.

Une diversité insoupçonnable

« Arrivé au terme de ma carrière scientifique, j’ai dit à mes collègues de l’expédition Tara Oceans que j’essaierai désormais de faire connaître le monde du plancton au public par le biais de l’image, par la rencontre de l’art et de la science, raconte-t-il. Au XIXe siècle, l’Allemand Ernst Haeckel avait réussi à populariser la question grâce à la publication de ses dessins de radiolaires [une espèce planctonique], les premiers du genre, qui ont suscité à l’époque un intérêt considérable. »

Les photos de Christian Sardet montrent une diversité insoupçonnable. Sphères iridescentes, enroulements d’anneaux, figures géométriques luminescentes, voiles irisés, monstres miniatures... « J’ai pris le parti de toujours utiliser un fond noir, qui permet de faire ressortir toutes les nuances de couleurs et les détails des formes les plus complexes », présente le chercheur-photographe.

Leurs noms sont aussi bizarres et poétiques que leurs formes sont diverses et extravagantes. Coccolithophores et diatomées, foraminifères et chaetognathes, radiolaires et appendiculaires, siphonophores et phronimes, pyrosomes et porpites... Sans compter les innombrables virus, bactéries et protistes de tous poils. « C’est l’écosystème le plus diversifié, le plus complexe et le plus ancien de la planète, soutient Christian Sardet. Cela va des organismes microscopiques aux siphonophores, de minces filaments qui peuvent mesurer jusqu’à cinquante mètres de longueur ! »

Symbiose, parasitisme, prédation ou photosynthèse : tous les comportements et toutes les stratégies du monde vivant se retrouvent dans cette faune et cette flore minuscules. La majorité des images exposées est prise à l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), le fief du biologiste français. Mais d’autres, inédites, résultent d’un travail conduit à la station biologique de Shimoda, sur des organismes prélevés dans les eaux japonaises.

Le peuple du plancton

Nous aurions tort de mépriser cet univers invisible. Sur ses épaules reposent les grands équilibres bio-géologiques de la planète. Au poids, il pèse plus de 95 % de toute la biomasse présente dans les océans. Sa part végétale forme le socle de la chaîne alimentaire. Elle pompe des milliards de tonnes de gaz carbonique dans l’atmosphère et produit autant d’oxygène que l’ensemble de la végétation des terres émergées. « Chacune de nos respirations est un cadeau du plancton », écrit Christian Sardet dans le beau livre Plancton. Aux origines du vivant (Ed. Ulmer) publié en 2013 et qui rassemble son travail.

A l’origine des montagnes

Nous sommes redevables au plancton vivant, mais aussi au plancton mort, accumulé au fond des océans depuis des centaines de millions d’années. Leurs milliards de cadavres agglomérés au fil du temps ont formé les épaisses couches de roches sédimentaires dont sont constituées nos montagnes et dans lesquelles on retrouve encore parfois l’empreinte discrète d’un petit coquillage.

S’il faut se soucier, aujourd’hui plus que jamais, de ce bestiaire caché, c’est qu’il risque fort de souffrir des dégâts infligés à l’océan par les activités humaines. Eaux de surface étouffées par les effluents agricoles, microplastique à la dérive, réchauffement des mers du globe, acidification par dissolution du dioxyde de carbone émis par la combustion forcenée du charbon, du pétrole et du gaz...

En 1973, le film post-apocalyptique Soleil vert imaginait la disparition du plancton et la catastrophe alimentaire qui en découlerait pour les sociétés humaines. Cette éventualité ne relève peut-être plus totalement d’un scénario de science-fiction. En début d’année, des océanographes de l’Université du Maryland aux Etats-Unis publiaient dans la revue Geophysical Research Letters les résultats d’observations satellites montrant que, dans l’ouest de l’océan Indien, l’abondance de phytoplancton avait décliné de 30 % environ au cours des seize dernières années. L’information est passée remarquablement inaperçue.

Festival international de la photo Kyotographie, à Kyoto (Japon). Jusqu’au 22 mai.

La Fondation Cartier pour l’art contemporain présentera les photographies de Christian Sardet du 2 juillet 2016 au 8 janvier 2017, dans le cadre de l’exposition « Le grand orchestre des animaux ».