La reine Elisabeth II après son traditionnel discours devant la Chambre des Lords, à Londres, mercredi 18 mai 2016. | POOL / REUTERS

Depuis un certain temps déjà, le cérémonial du « Queen’s Speech », traditionnel depuis 1536, paraît d’un autre âge. La souveraine, transportée en carrosse doré de Buckingham à Westminster et coiffée de sa couronne sertie de 3 000 diamants, lit d’un ton monocorde devant le Parlement le programme législatif transmis par le gouvernement pour l’année à venir.

Seule innovation cette année : la souveraine, qui vient de fêter ses 90 ans, a emprunté un ascenseur plutôt que les 26 marches d’escalier pour accéder à son trône installé dans la Chambre des Lords.

Mais le « discours de la reine » prononcé par Elizabeth II mercredi 18 mai a pris des allures particulièrement surréalistes. Pas question pour le gouvernement de David Cameron de lancer la moindre réforme susceptible de provoquer une controverse à cinq semaines du référendum du 23 juin sur le maintien (« in ») ou la sortie (« out ») de l’Union européenne, dont les résultats s’annoncent hautement incertains.

Il s’agissait de montrer à l’opinion que le gouvernement travaille sur des mesures consensuelles, alors qu’en réalité, la vie politique est presque totalement phagocytée par la campagne du référendum qui déchire chaque jour un peu plus le parti conservateur.

Ainsi, le très sensible projet de « loi souveraineté », qui doit affirmer la primauté des tribunaux britanniques sur les juridictions européennes, a été retiré du programme. « Il aurait rappelé à l’opinion que l’UE n’a pas été réformée », contrairement aux affirmations du premier ministre, a tonné l’ancien ministre du travail eurosceptique Iain Duncan Smith.

Une plus large autonomie aux directeurs de prisons

Le principal train de mesures annoncé par la reine vise à remédier à la situation alarmante qui prévaut dans les prisons du royaume. Un sujet qui fait rarement l’objet d’annonces tonitruantes. Présenté comme la « plus importante réforme des prisons depuis l’ère victorienne », le projet de loi confère une large autonomie aux directeurs des six plus gros établissements pénitentiaires, aussi bien en matière de gestion de leur budget que de règlement intérieur. Les prisons devront publier leurs statistiques en matière de formation, de réinsertion et de récidive, et un classement des établissements sera dressé.

Le développement de la surveillance par satellite doit permettre de développer des formes d’incarcération limitées aux week-ends, permettant à certains condamnés de travailler en semaine. « Ces réformes vont réduire la récidive, la délinquance et améliorer la sécurité publique », a affirmé Michael Gove, le ministre de la justice eurosceptique qui promeut une politique carcérale libérale. Ainsi, les détenus devraient être autorisés à utiliser des tablettes à des fins d’éducation, de formation, et pour communiquer avec leur famille via Skype.

Mais rien ne dit que ces réformes suffiront à apaiser un système carcéral au bord de l’implosion. Avec plus de 90 000 détenus (68 000 en France pour une population équivalente), les prisons britanniques sont remplies à 111 % de leurs capacités, et certaines à 160 %. Depuis quinze ans, la durée des peines a été augmentée de 33 % et le nombre de surveillants diminué pour cause d’austérité budgétaire.

Selon l’association des surveillants de prison, les appels aux forces antiémeutes dans les prisons ont atteint une fréquence « sans précédent » : entre 30 à 40 fois par mois en Angleterre et au Pays de Galles (l’Ecosse est gérée séparément) contre des mutineries, des prises d’otage ou d’autres actes de violences.

Mais c’est surtout la multiplication des suicides qui émeut les associations de défense des droits de l’homme : cent détenus se sont donné la mort dans les prisons anglaises et galloises ces douze derniers mois, soit le double de l’année précédente. Un nombre jamais enregistré depuis au moins vingt-cinq ans, bien supérieur, en termes relatifs, à celui des prisons américaines.

Donner une image miséricordieuse

Outre la réforme des prisons, la reine a présenté une longue liste d’autres mesures, destinées à créer des ports d’embarquement à destination de l’espace (« spaceports ») ou à promouvoir l’usage des drones par les particuliers et les entreprises, ce qui donnait un aspect « planant » à ce discours.

Le premier ministre, qui a dû renoncer à plusieurs reprises à des mesures d’austérité visant les populations défavorisées, voulait utiliser la grand-messe de Westminster pour se donner une image miséricordieuse. Certains des 21 projets de loi annoncés, a déclaré M. Cameron, visent à « traiter les problèmes sociaux les plus graves et à améliorer les chances » des jeunes défavorisés. De nouveaux indicateurs sur les « chances de réussite » vont être introduits.

D’autres mesures visent la liberté donnée aux universités d’augmenter leurs droits d’inscription en fonction de leurs résultats, et la surveillance de l’Internet et la lutte contre l’extrémisme, notamment pour intervenir dans des écoles privées où un « langage de haine » est tenu.

Personne ne sait si les projets annoncés dans le « Queen’s Speech » seront mis en œuvre. Si M. Cameron échoue à obtenir une majorité en faveur du maintien dans l’UE, il sera probablement obligé de démissionner, et le futur premier ministre ne sera pas nécessairement enclin à appliquer les mesures sociales annoncées mercredi.