De gauche à droite,  le président Francois Hollande,  Bernadette Chirac, Martin Rey-Chirac (petit-fils de Jacques Chirac), et Claude Chirac lors de l’inauguration de l’exposition "Jacques Chirac ou le dialogue des cultures" au musée du quai Branly à Paris, France,  le 20 juin 2016. | JACKY NAEGELEN / REUTERS

Sur le pupitre, derrière lequel vont s’exprimer tour à tour Martin Chirac et François Hollande, figurent la date, lundi 20 juin, et le nom de l’exposition en lettres capitales : « Jacques Chirac ou le dialogue des cultures ». Absent, il est pourtant là partout, comme chez lui, au Musée du quai Branly inauguré par ses soins il y a dix ans et qui portera désormais son nom ; là dans les paroles pleines d’émotion de son petit-fils, là dans le discours du président de la République, là dans les souvenirs des uns et des autres, famille, amis, anciens collaborateurs, ministres… Absent et si présent.

Evidemment là, dans le discours de Stéphane Martin, le président du musée, qui glisse à François Hollande : « Je devine qu’une de ces inaugurations reste dans votre mémoire, en tout cas dans la mienne ! » C’était en Corrèze, en 2011, pour une exposition au musée Jacques-Chirac de Sarran. L’ancien chef d’Etat y avait apporté son soutien au futur candidat à la présidentielle, avant même qu’il ne soit désigné. Cela paraît si loin, à la veille d’une nouvelle primaire à gauche.

Lever tous les obstacles

François Hollande, en saluant d’emblée Bernadette Chirac, se remémore, lui, « une scène assez improbable » dans ce même musée, qui avait fait le tour d’Internet en 2009. L’ancien président semblait y draguer la regrettée Sophie Dessus, députée (PS) de Corrèze, morigéné par son épouse. « Etre président de la République ne permet pas toujours de lever tous les obstacles. Il faut parfois s’y reprendre à plusieurs fois », poursuit le chef de l’Etat, l’air fatigué et le pantalon plissé, retraçant les mille difficultés rencontrées par Jacques Chirac pour donner aux « arts premiers », ignorés ou relégués, la place qu’ils méritaient. Le président lit un très beau discours sur les valeurs universelles de la France, la tolérance, l’ouverture, qui sonne pourtant creux au regard de la réalité.

« Chère Bernie », a dit Martin Chirac, 21 ans, à sa grand-mère, qui, debout au premier rang, un foulard bleu autour du cou, a remis ses célèbres lunettes fumées pour l’écouter. « Il ne faut jamais laisser voir sa peine ou son émotion » : cette leçon de son grand-père, il se permet aujourd’hui de la transgresser, pour parler de ce « cadeau qu’il nous fait, à nous et à tous les peuples », en nous emmenant aux origines de l’art. Une photo sur le podium, où Martin pose une main sur l’épaule de sa grand-mère et l’autre sur celle de sa mère, Claude Chirac, et la séquence émotion se termine.

Bernadette Chirac : « La France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle s’ouvre aux autres »

Au restaurant du musée, quelques heures auparavant, ­Stéphane Martin a organisé autour de Bernadette Chirac, de sa fille et de son gendre Frédéric Salat-Baroux, un grand déjeuner « revival ». Une vingtaine de journalistes, parmi ceux qui suivirent la carrière politique de Jacques Chirac, ont été conviés ainsi qu’Anne Kerchache, la veuve du collectionneur Jacques Kerchache, inspirateur du musée, d’anciens conseillers de l’Elysée, bref tout un monde qui ne s’est pas revu depuis presque dix ans.

« La France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle s’ouvre aux autres », assure Bernadette Chirac au moment des toasts, en traçant un rapide portrait humaniste et idéal d’un Jacques Chirac qui refusait la hiérarchie des cultures et l’idée du choc des civilisations : « Cette exposition lui ressemble, car elle est tournée vers les autres », dit-elle. D’ailleurs, rappelle l’épouse de l’ancien président, « parmi les musées voulus par mon mari, il ne faut pas oublier le Musée de l’immigration ».

L’ancien ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon, commissaire de l’exposition, raconte la façon dont il l’a conçue, au fil de l’existence de l’ancien président. Le politique pouvait être trivial, opportuniste, démagogue. Son double est cultivé, curieux des autres continents et de références non cartésiennes. Aillagon se souvient fort bien de cette soirée, en 1994, où il rencontra Jacques Kerchache à la demande de Chirac, alors candidat à l’élection présidentielle.

« Tout est branché »

L’amateur habitait dans le 13e arrondissement de Paris un appartement peuplé de statues indiennes, de masques africains et d’une impressionnante collection de coléoptères. A l’époque, Chirac était au plus bas dans les sondages et Aillagon avait avoué son pessimisme. Kerchache avait alors emmené son visiteur devant un extraordinaire assemblage de poupées vaudoues. Là, avec la bienveillance de l’ami et la certitude du magicien, il avait assuré : « Ne vous inquiétez pas : tout est branché… »

Et, pour Alain Juppé, tout est-il branché ? La sollicitude de Bernadette Chirac, « bonne fée » de son concurrent dans la primaire de la droite, Nicolas Sarkozy, lui semble en tout cas acquise. L’ex-première dame a raconté, avec un petit sourire, à l’ancienne députée (UMP) de Paris Françoise de Panafieu : « J’ai fendu la foule pour aller embrasser Alain Juppé, sinon il aurait encore dit que je ne lui avais pas dit bonjour ! » Au dîner, entre la tête de veau et la tourte aux champignons, la plaisanterie courait parmi les tables : « Il y avait le baiser de Rodin, maintenant il y a le baiser de Bernadette à Alain ! »

François Baroin, lui, était parti depuis longtemps. Le fils spirituel de Jacques Chirac, désormais sarkozyste, a longuement discuté avec Christian Jacob, autre chiraquien patenté, qui n’a pas encore fait connaître son choix pour la primaire. Ils s’en sont allés bras dessus bras dessous. Tout est branché.