Pour L’architecte nigérian Kunlé Adeyemi, directeur et fondateur de l’agence NLE, la gloire et l’infamie se sont succédé en une semaine.

Le 28 mai, son projet d’école flottante s’est vu décerner le prestigieux Lion d’argent à la 15e Biennale d’architecture de Venise. Le jury a vu dans ce projet, dont un deuxième prototype amélioré, a été construit dans la Cité des doges, la « puissante démonstration (…) qu’une architecture à la fois emblématique et pragmatique peut mettre l’accent sur l’importance de l’éducation ».

Dix jours plus tard, mardi 7 juin, le premier prototype, qu’ont fréquenté les écoliers du bidonville inondé de Makoko, à Lagos, s’est effondré à la suite des pluies torrentielles qu’a subies la mégapole nigériane. Les photos publiées par le site nigérian Bellanaija.com montrent la structure en bois complètement détruite et la toiture métallique bleue, intacte au-dessus des débris. Aucune victime n’est à déplorer.

Coupe d’explication de la structure de l’école flottante de Makoko conçue par l’architecte nigérian Kunlé Adeyemi. | NLE

Le lendemain, l’agence NLE, basée à Amsterdam, a précisé dans un communiqué que cette école, construite en 2013 et célébrée dans le monde entier comme une innovation majeure, a cessé d’être utilisée en mars en attente de travaux d’entretien. Aucun détail n’a été donné sur les raisons de cet effondrement et Kunlé Adeyemi n’a pas répondu aux sollicitations du Monde Afrique. C’est pour cet architecte de 40 ans, formé à Lagos et à Princeton, aux Etats-Unis, un revers majeur, même s’il est devenu presque simultanément le premier architecte africain à être sollicité par la prestigieuse Serpentine Gallery de Londres pour y concevoir une summer house, un pavillon d’été. Avant lui, les hôtes de la Serpentine ont été Oscar Niemeyer, Rem Koolhaas, Zaha Hadid ou Frank Ghery.

Certains médias ont émis l’hypothèse que l’absence d’utilisateurs du prototype pendant trois mois et le possible pillage de certains de ses matériaux a fragilisé l’édifice. Par ailleurs, des parents d’élèves cités par The Guardian avaient émis des craintes pour leurs enfants en raison des vibrations ressenties au sein du bâtiment flottant durant les précédentes intempéries.

Le plus grand bidonville sur l’eau

L’école Makoko, dessinée par M. Adeyemi pour accueillir cent élèves et leurs professeurs, est une structure en charpente de bois qui repose sur une plateforme de dix mètres par dix, maintenue à la surface grâce à 256 barils de plastique remplis d’air qui jouent le rôle de flotteurs. Le bâtiment, de 10 mètres de haut et de forme pyramidale, se développe sur trois niveaux pour une surface utile de 220 m². Cette forme a été retenue par les architectes en raison de son centre de gravité relativement bas, créant ainsi un bâtiment flottant stable et censé résister aux vents forts ainsi qu’aux intempéries.

Quant au quartier de Makoko, un ancien village de pêcheurs au-dessous du Third Mainland Bridge de Lagos, long de plus de 11 km, il est souvent qualifié de plus grand bidonville sur l’eau du monde. Jusqu’à 300 000 habitants se serrent dans des constructions sur pilotis, régulièrement menacés d’expulsion et hantés par la hausse fréquente du niveau d’une eau noire qui charrie à la fois les détritus de Lagos et les égouts du bidonville.

Prototype du prototype : plateforme flottante pour expliquer aux futurs utilisateurs de l’école comment elle sera construite. | NLE

Le prototype aujourd’hui effondré a été construit sur l’eau avec le maximum de matériaux recyclés et en partenariat avec les populations locales. Il a été utilisé pendant trois ans : le rez-de-chaussée pour des réunions des habitants de Makoko et comme cour de récréation pour les enfants, tandis que les deux étages supérieurs abritaient les salles de classe et des ateliers. L’école avait l’ambition de devenir un bâtiment durable exemplaire, grâce à l’intégration de panneaux solaires, produisant ainsi sa propre électricité, et intégrant un système de traitement des eaux usées.

Le projet a d’abord été autofinancé par l’agence NLE et a reçu ensuite l’aide du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), du ministère fédéral de l’environnement (AAP) de la Heinrich Böll Foundation et de Tafeta + Partners. Ce n’est qu’en décembre 2015 que le ministère du tourisme et de la culture de l’Etat de Lagos s’est associé au projet en finançant l’équipement de panneaux solaires. Le bâtiment a connu un tel succès local qu’il est vite devenu un lieu de rassemblement en dehors des heures de classe.

Espoir d’un développement futur

L’ambition de Kunlé Adeyemi était la construction d’une véritable communauté flottante à Makoko. La phase d’après, qui n’a toujours pas trouvé de financement, devait être la construction d’habitations flottantes ayant une typologie similaire. Ces maisons s’imbriquant les unes dans les autres auraient été équipées d’un dispositif innovant du japonais Air Danshin Systems pour activer un compresseur gonflant une chambre à air sous la plateforme des maisons dès que s’élevait trop le niveau de l’eau.

Vue d’artiste de l’agence NLE d’une communauté flottante dans les lagunes d’Afrique. | NLE

Pour la plupart des experts, y compris ceux de la Fondation Aga Khan, le projet de l’agence NLE est visionnaire. Il s’inscrit dans une réflexion plus large de l’agence, « African Water Cities », consistant à proposer des solutions architecturales et sociales pour améliorer la vie des populations des lagunes de Lagos et du reste de l’Afrique. L’école flottante ne devait être qu’une première étape destinée à être dupliquée. Le prototype visible à Venise jusqu’au mois de novembre représente le second bâtiment flottant construit par NLE, une version améliorée tant du point de vue de son plan, de sa stabilité que de la structure. Le prix qu’il a reçu à Venise et sa médiatisation représentaient pour Kunlé Adeyemi l’espoir d’un développement futur.

Le prototype de la « Makoko School » exposé à Venise, modèle renforcé de celui de Lagos. | Alia Bengana