« Initialement, le crowdfunding (incluant évidemment le crowdlending) repose sur des fondamentaux très simples : un porteur de projet sélectionné par une plate-forme présente son idée au public, qui décide de le financer ou non. » | LEONHARD FOEGER / REUTERS

Par Vincent Ricordeau, PDG de KissKissBankBank

Lending Club, le leader mondial du crowdlending [le prêt aux entreprises par le biais des sites Internet] vient de perdre 80 % de sa valorisation boursière suite à l’éviction de son PDG, Renaud Laplanche, alors qu’au même moment la plate-forme américaine annonçait des bénéfices records pour le premier trimestre 2016.

L’affaire déchaîne les passions et les amalgames se multiplient. On mélange conflits d’intérêts du PDG et immaturité de son modèle économique, erreur de décision du management et excès de souplesse du cadre réglementaire. Le vrai souci dans cette affaire, c’est que le grand public risque de perdre ses espoirs de voir naître une finance plus éthique et plus transparente. Car pour moi, Lending Club a vendu l’âme du crowdlending.

Comment la finance traditionnelle s’est emparée du crowdfunding ? Initialement, le crowdfunding (incluant évidemment le crowdlending) repose sur des fondamentaux très simples : un porteur de projet sélectionné par une plate-forme présente son idée au public, qui décide de le financer ou non. C’est limpide et transparent. Cette notion de pair à pair ou d’individu à individu constitue l’ADN même du crowdfunding. Sa vertu première est de favoriser la création d’un environnement où l’intelligence collective mène la danse, permettant ainsi d’éviter les intermédiaires financiers traditionnels. Aux débuts de Lending Club, en 2007, il en était ainsi.

Les particuliers délogés

Puis petit à petit, les fonds d’investissement se sont mis à financer les projets de Lending Club par centaines de millions de dollars. Renaud Laplanche a progressivement délogé les particuliers et laissé presque toute la place à ces fonds d’investissement. Le modèle originel a donc été abandonné au profit des outils financiers des banquiers d’affaires.

Ceux-ci empochent les rendements proposés par le système de Lending Club et font en même temps un lobbying forcené auprès des autorités afin de complexifier la régulation applicable au crowdfunding.

Renaud Laplanche est tombé dans leur piège, qui malheureusement a fait des émules, notamment en France où la plupart des acteurs du crowdlending dédient prioritairement leurs plates-formes aux fonds d’investissement. Pourtant, ces fonds de titrisation fabriqueront progressivement des produits dérivés complexes qui finiront par éclater en plein vol sur les marchés : le cataclysme de 2008 et ses subprimes semblent avoir disparu de nos mémoires.

Scénario catastrophe

Oui, nous défendons un marché du crowdlending orienté principalement vers les particuliers et les entreprises. Mais ça ne signifie pas pour autant que nous souhaitons exclure complètement les fonds d’investissement ou les banques. Il serait stupide d’éliminer des leviers de croissance potentiels pour notre jeune marché, mais ils ne doivent en aucun cas se substituer à la présence du grand public.

Si le risque est maintenu au niveau du public, nous éviterons ainsi la propagation de produits financiers toxiques, fabriqués par les fonds d’investissement qui conduiraient à une nouvelle débâcle systémique. Si ce scénario catastrophe triomphe, les acteurs du crowdfunding disparaîtront face à la vindicte populaire qui se sentira trompée à juste titre, pendant que les fonds d’investissement, par nature versatiles, iront voir ailleurs. L’amalgame entre crowdfunding et finance traditionnelle serait alors définitif. La désillusion Lending Club sonne comme une alerte, entendons là !

Besoin d’une fiscalité plus avantageuse

Nous n’avons pas forcément besoin d’outils financiers complexes pour financer les projets de nos contemporains. Nous croyons à la naissance d’une autre finance plus éthique, plus responsable, plus populaire. Nous avons besoin de temps et surtout d’une fiscalité bien plus avantageuse pour convaincre les Français d’orienter leur épargne vers ces nouvelles solutions de financement de l’économie.

Le crowdfunding représentait déjà plus de 300 millions d’euros (incluant le crowdlending, dont la moitié est déjà financée par des fonds…) sur l’ensemble du marché français en 2015. C’est un excellent début. Protégeons cette intelligence collective et développons nos plates-formes pour qu’elles restent au service de nos communautés de contributeurs et des porteurs de projets plutôt que de les soumettre à une finance aux réflexes parfois douteux. Évitons les mécaniques qui jetteront le discrédit sur nos activités.

Pour assurer le succès du crowdfunding, il faut changer les mentalités, nous le savons tous, et cela passe par plusieurs étapes dont la première est déjà atteinte : la grande majorité des Français a déjà entendu parler de crowdfunding. Ils y mêlent des notions diverses comme l’empathie, la solidarité mais aussi le rendement financier. Nous devons aujourd’hui les rassurer avec une vision de l’économie sans faux-semblants.

Prôner un monde nouveau avec de vieux outils n’est pas crédible, défendre une finance nouvelle avec les méthodes d’hier me paraît futile et dangereux : l’affaire Lending Club en est la preuve. Je pense sincèrement que nos contemporains viendront au crowdfunding si nous les rendons fiers de participer à un nouveau paradigme, où se mêlent responsabilité individuelle et transparence. Cette fierté peut être un catalyseur bien plus puissant que toutes les campagnes de communication ou les promesses de profits à court terme. Je pense sincèrement qu’il nous faut propager cette fierté, alors le crowdfunding aura encore de beaux jours devant lui.