Dans la nuit de jeudi 9 juin, l’Assemblée nationale a rendu contraignant le vote des assemblées générales d’actionnaires sur la rémunération des dirigeants. | DENIS CHARLET / AFP

Pas de plafond pour les salaires de patrons, mais un vote contraignant. Le texte adopté dans le cadre de la loi Sapin 2, dans la nuit de jeudi 9 juin à vendredi 10 juin, prévoit un vote préalable de l’Assemblée générale des actionnaires pour valider la rémunération des patrons, proposée par le conseil d’administration. Loïc Dessaint, directeur général de la société de conseil financier Proxinvest, critique face aux écarts trop importants de rémunération, analyse ce nouveau dispositif.

L’Assemblée nationale vient de rendre contraignant le vote des assemblées générales (AG) d’actionnaires sur la rémunération des dirigeants d’entreprise. Que pensez-vous de ce texte adopté dans le cadre de la loi Sapin 2 ?

Cette loi qui donne un droit de veto sur le contrat du dirigeant par l’AG va dans le bon sens. C’est un grand progrès. Le texte va plus loin que la procédure du « say on pay » actuelle, selon laquelle les assemblées générales peuvent approuver ou non le salaire du dirigeant. Les actionnaires vont avoir enfin leur mot à dire, et pas seulement donner un avis consultatif.

A chaque embauche, ou renouvellement d’un dirigeant – en moyenne tous les quatre ans en France –, le conseil d’administration aura besoin de l’accord de l’AG des actionnaires, il devra donc anticiper le problème pour avoir leur soutien.

Mais cela ne va pas régler tous les problèmes. Par exemple, les actionnaires ne pourront toujours pas contrôler les conditions de performances pour les bonus annuels, pour l’attribution d’action gratuites. Ça passera toujours uniquement par un vote consultatif en AG.

Les AG d’actionnaires sont-elles très différentes en France ?

Nous sommes très en retard. Au Royaume-Uni, le vote consultatif a déjà plus de dix ans, en France, après la menace d’une loi qui plafonnerait les salaires, l’Afep-Medef a promis l’autorégulation et mis en place les votes consultatifs en 2013.

Cette semaine, à Londres, plus de 30 % des actionnaires ont voté contre la rémunération du patron de WPP lors de l’AG du groupe publicitaire. Tous les journaux britanniques évoquaient alors une « révolte des investisseurs ». En France, Carrefour, par exemple, vit très bien avec le même niveau de contestation, et Renault, avant que les actionnaires désapprouvent le salaire de Carlos Ghosn fin avril, avait connu aussi des niveaux d’approbation depuis deux ans de 64 % puis 56 %. Le groupe n’a jamais considéré qu’il y avait un problème. Il y a beaucoup de contestation en France et la capacité à ne pas écouter les actionnaires est très élevée.

L’Afep-Medef veut empêcher que les comités de rémunération rencontrent directement les investisseurs, comme cela se fait au Royaume-Uni par exemple. Le travail des comités de rémunération n’est donc pas encore à la hauteur.

Estimez-vous qu’il faut aussi légiférer pour réduire les rémunérations des dirigeants du CAC 40, comme le réclamaient les signataires de l’appel des 40 en mai et comme le promettait François Hollande en 2012 ?

Dans les entreprises publiques, cela ne pose pas de problème. L’Etat peut définir les limites qu’il veut [les salaires des dirigeants ont été limités à 450 000 euros annuels depuis 2013]. Par contre, dans les sociétés privées, je pense que cela serait compliqué. Le rapporteur Sébastien Denaja (PS) estime qu’il y a un risque de constitutionnalité. Déjà à l’automne dernier, l’Assemblée nationale voulait relever le taux de prélèvement des grosses retraites chapeau de 30 à 45 %. Il y a eu un recours auprès du conseil constitutionnel, qui a estimé que maintenir la taxe à 30 % était confiscatoire.

A Proxinvest, nous avons fixé depuis dix ans un plafond au-dessus duquel nous déconseillons à nos clients d’approuver les rémunérations. Il représente 240 SMIC, soit 4,8 millions d’euros. Juridiquement, cela ne pose pas de souci parce qu’un actionnaire est toujours libre de s’exprimer selon ses convictions.

On considère qu’au-delà de 240 SMIC, les risques pour l’investisseur sont trop importants. On peut trop payer le dirigeant, qui pourrait effectuer le même travail avec un salaire moins élevé. Il existe aussi un plafond socialement acceptable : une paie exagérée risque de démotiver les salariés et braquer les syndicats. Le dirigeant a un devoir d’exemplarité. A partir d’un certain seuil, un salaire peut aussi avoir des conséquences néfastes sur l’image d’une entreprise. Cela peut d’autant plus choquer que ces dirigeants sont très mobiles fiscalement. On ne sait pas où Carlos Goshn paie ses impôts. Ces personnes ne contribuent donc pas à l’effort collectif pour le pays. Le dirigeant peut s’augmenter à condition que les actionnaires, mais aussi que les salariés soient très contents, sinon il échoue dans son devoir.

Que pensez-vous de la consultation publique sur son code de conduite lancée par l’Afep-Medef fin mai ?

C’est une stratégie pour éviter la loi, mais cela arrive un peu tard. Nous sommes d’ailleurs le seul pays où le code de gouvernance des entreprises est uniquement défini par leurs dirigeants. En Angleterre, en Allemagne, en Espagne, le code est rédigé par plusieurs parties prenantes, des entreprises mais aussi des fonctionnaires, des chercheurs… En France, ils gardent la main sur leurs propres règles, qui ne sont donc pas assez contraignantes.

Il existe ici encore un vrai problème d’alignement entre salaire et performance. Au Royaume-Uni, les dirigeants sont très bien payés, même mieux qu’en France, par contre, les conditions de performance sont beaucoup plus dures. Il faut être vraiment très bon. En France, on est peu exigeants. Finalement, ce sont des députés de gauche qui viennent de donner une leçon de libéralisme aux grands patrons, pas si libéraux quand il s’agit de leur rémunération et de se retrouver obligés de rendre des comptes.