Lors des affrontements, dans la nuit du 11 juin à Marseille. | JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

Des supporteurs russes masqués brandissent des drapeaux de clubs anglais retournés à l’envers, comme des trophées. Moins de 24 heures après les violents affrontements survenus à Marseille en marge du match qui a opposé, le 11 juin, la Grande-Bretagne à la Russie (1-1), les images ont commencé à inonder les réseaux sociaux russes sur l’« Okolofutball » – (autour du football en russe), un terme qui désigne tout ce qui gravite autour des matchs et concerne plus particulièrement les hooligans. Il a même son site, du même nom, qui se présente comme le « plus grand portail » spécialisé et qui publie une série de photos et de vidéos prouvant que les supporteurs russes ont agi de façon coordonnée.

Un autre site spécialisé, Fanstyle.ru, a, lui aussi, diffusé des images instructives. L’une d’elles montre des hommes se dirigeant en rangs serrés vers le Vieux-Port, portant sur leurs dos des chaises de bistrot. Les fans russes ont souvent eux-mêmes filmé leurs exploits, tel Alexeï Molodoï (le jeune), un supporteur russe bâti comme une armoire à glace qui, sur Twitter, Instagram et Vkontakt (le Facebook russe) a tenu sous ce pseudo une véritable chronique de son séjour marseillais.

« Cela faisait seize ans qu’il n’y avait pas eu une telle atmosphère », se réjouit-il, en faisant allusion aux violents heurts qui avaient émaillé l’Euro 2000 aux Pays-Bas et en Belgique avant et après le match Angleterre-Allemagne. « Avant, on ramenait d’Europe des magnets comme souvenir, aujourd’hui, c’est la mode des drapeaux britanniques », ricane Alexeï, venu d’un pays balte.

Ce dernier commence par raconter par le menu « le jour d’avant », lorsque le 10 juin, les premiers incidents ont éclaté à Marseille.

« Nous étions huit, rentrés à bord de deux voitures dans le quartier du Vieux-Port pour se plonger dans l’atmosphère de la bonne vieille violence de rue », écrit-il.

L’objectif, le pub irlandais O’Malley’s, est tout près, et la bande s’y dirige, « en évitant la police » : « la place était remplie de British, ils chantaient, ils dansaient et se réjouissaient sous la surveillance de la police. » Dans l’attente de « renforts », comme il l’annonce, Alexeï et ses amis contournent prudemment les cordons policiers avec en tête le fait que « les British et les Arabes marseillais pouvaient être armés ».

Alexeï Molodoï à Marseille, sur une photo postée lundi sur les réseaux sociaux russes. | DR

Les Russes décident alors de se « diviser en petits groupes de deux ou trois » et de « se déployer », pour prendre l’adversaire par surprise. « Quand soudain, une dizaine de jeunes du Dynamo Moscou ont surgi en chantant Katioucha et se sont dirigés droit vers les British. Au même moment, à l’endroit où nous avions prévu d’attaquer, les nerfs des British ont craqué et ils ont sauté sur les mecs du Dynamo. »

« Retraite »

La bagarre éclate, mais ce soir-là, selon le récit d’Alexeï, elle tourne au désavantage des Russes. « Une vague de merdes [projectiles] s’est abattue sur nous. Cinq ou six British se sont mis contre un Russe. Derrière nous, on entendait les sirènes et les grenades assourdissantes. Je me suis retourné. Personne. Nous étions deux autour d’un Russe, mais ça commençait à arriver de partout. A un certain moment, une bouteille s’est fracassée sur ma tête. On a compris qu’il fallait battre en retraite et on s’est mis à courir à travers les ruelles de Marseille. »

Igor Lebedev, porte-parole adjoint de la Douma et membre du comité exécutif de l’Union du football russe, a écrit lundi matin sur son compte Twitter : « Je ne vois rien de grave dans une bagarre de supporteurs. Au contraire. Bien joué, les gars. Continuez comme ça. »

Alexeï ne cache pas son dépit : « Selon moi, c’est une défaite. On n’a pas pu attendre tout notre personnel (…) et on a été obligés d’attaquer à un contre cinq pour défendre les nôtres [les jeunes de Dynamo]. Les British ont du “drive”, y compris parmi les 25-30 ans, et quand ils ont compris que nous étions peu nombreux, ils ont commencé à nous piétiner en troupeaux. Un style purement britannique. »

Ces échauffourées annoncent les heurts très violents du lendemain, jour de match. Dès le 10 au soir, les supporteurs russes se sont en effet concertés sur la marche à tenir. « On s’est réuni à nouveau et on a décidé d’attendre, raconte Alexeï, jubilant. J’ai peur d’imaginer ce qui va se passer quand va arriver à Marseille tout le “hardcore” russe. Le plus important est de bien évaluer ses forces et d’agir en coordination. »

Au passage, il note « l’action hyperpassivité de la police française ». Parmi les « spotteurs » devaient cependant figurer six policiers russes dépêchés depuis Moscou par le ministère de l’intérieur pour épauler leurs collègues français dans le cadre de l’Euro 2016 « tant que l’équipe russe sera dans le tournoi ».

« Vers le nord »

Dans un communiqué le 12 juin, l’Union des supporteurs russes, tout en condamnant « fermement toutes les violations des règles des événements sportifs qui impliquent des sanctions contre l’équipe russe » et « jettent une ombre sur la Russie, pays hôte de la Coupe du monde de football 2018 », en appelle « à la compréhension » de ses adhérents. Sur Zvezda, la télévision liée au ministère de la défense, son président, Alexandre Schprigine, a évoqué un « match stressant » et la présence, sur place, « de la population locale comme troisième force ». « Tels des canards boiteux, a-t-il ajouté, les Britanniques ont été battus par la population locale, la police et encore par des supporteurs russes ».

Des hooligans russes se préparent à l’assaut, samedi à Marseille. Photo publiée sur le site Fanstyle.ru. | DR

De son côté, Igor Lebedev, porte-parole adjoint de la Douma (la chambre basse du Parlement russe) et membre du comité exécutif de l’Union du football russe, a écrit lundi matin sur son compte Twitter : « Je ne vois rien de grave dans une bagarre de supporteurs. Au contraire. Bien joué, les gars. Continuez comme ça. »

En post-scriptum, Alexeï, lui, a confié un seul regret pour la soirée du 10. « Selon des témoins, il y avait des British du Millwall (club anglais), cela aurait été bien de se battre avec eux, de vrais hooligans, et pas avec des mecs chantant. » Lundi, il cherchait depuis Marseille à remonter « vers le nord ». Le prochain match de la Russie doit se dérouler à Lille, le 15 juin, face à la Slovaquie.