« Il y a mieux à faire que de suivre Thomas Boni Yayi dans ses dérives. Patrice Talon doit s’occuper du projet de société qu’il nous a présenté au lieu de se laisser prendre à ce jeu. » Martin Assogba, éminent membre de la société civile au Bénin, voit d’un très mauvais œil la toute dernière scène de réconciliation entre l’ancien chef de l’Etat et son successeur Patrice Talon.

L’incroyable réconciliation des deux présidents béninois
Durée : 03:08

Les deux amis devenus les pires ennemis pendant près de trois ans, en raison de diverses accusations rocambolesques dont une tentative d’empoisonnement, ont officiellement enterré la hache de guerre à la faveur d’une médiation des présidents ivoirien, Alassane Ouattara, et togolais, Faure Gnassingbé. La scène s’est déroulée le 18 avril à Abidjan, à l’issue d’un déjeuner à huis clos dans la résidence privée du chef de l’Etat ivoirien.

« Il y avait cette complicité entre le président Patrice Talon et moi-même, une complicité que nous dévoilons aujourd’hui, complicité positive. Nous étions des amis, nous demeurons des amis et nous resterons toujours des amis », a juré Thomas Boni Yayi devant les caméras, le regard masqué par des lunettes noires. Une déclaration enflammée à laquelle le président Talon a répondu avec le même enthousiasme. « Les intrigues de la compétition politique ne prendront pas le pas sur nos responsabilités d’œuvrer pour la paix, cela prime sur toute autre considération », a-t-il lancé. Puis les deux hommes se sont longuement étreints sous les applaudissements et les sourires de M. Ouattara et Gnassinbgé.

Mise en scène

Seulement, faut-il croire en cette réconciliation tonitruante ? Que cachent ces images qui ont tout l’air d’une mise en scène ? Pour Blaise Donou, observateur averti de la scène politique sis à Cotonou, il ne s’agit ni plus ni moins qu’un « folklore ».

Pour l’analyste, s’il fallait donner un gage d’apaisement aux Béninois, le tête-à-tête du 6 avril suffisait. Quelques heures avant la cérémonie d’investiture du nouveau président à Porto Novo, Patrice Talon avait été reçu à la surprise générale au palais présidentiel de la Marina par Thomas Boni Yayi. Les mêmes mots de réconciliation et d’amitié que ceux prononcés à Abidjan avaient alors été livrés à la presse par les deux hommes. Point trop n’en faut donc pour nombre d’observateurs, qui doutent de la sincérité de l’ex-chef de l’Etat béninois.

« Boni Yayi est rancunier. Talon doit se méfier de lui », a affirmé sur un plateau de télévision, le député Rachidi Gbadamassi, très populaire à Parakou, la grande ville du nord du pays, qui a fait défection des rangs des Fcbe, le parti de l’ex-président, pour soutenir le patron des patrons Sébastien Ajavon, lors du premier tour de la présidentielle le 6 mars.

Calculs politiques

C’est bien Thomas Boni Yayi qui est demandeur de cette réconciliation parce qu’ayant été surpris par la victoire de Patrice Talon à l’issue du second tour le 20 mars face à l’ex-premier ministre Lionel Zinsou.

L’ancien chef de l’Etat conduit actuellement une mission d’observation de l’Union africaine pour l’élection présidentielle en Guinée-Equatoriale dont le premier tour a eu lieu dimanche 24 avril. Mais il viserait surtout un poste de secrétaire général-adjoint de l’ONU. « Bien qu’il ait le soutien de chefs d’Etat de la sous-région, il faudrait qu’il ait le soutien formel du nouveau président de la République. Ce qui ne serait possible sans une réconciliation », analyse un journaliste béninois.

Faustin, lui, est un zémidjan. Comme tous les conducteurs de motos-taxis de la capitale économique béninoise, il se tient au fait de l’actualité. Il se demande quel sera l’impact de cette réconciliation sur son quotidien. « Cela va peut-être faire baisser la tension dans le pays. Mais n’est-ce pas parce qu’on ne voulait plus de Yayi que nous avons voté pour Talon ? Le rapprochement entre ces deux hommes ne sent pas bon. »