Des membres du clergé arménien au Bundestag, le 2 juin 2016. | ODD ANDERSEN / AFP

Angela Merkel ? Absente. Sigmar Gabriel ? Absent. Frank-Walter Steinmeier ? Absent. Que ni la chancelière, ni le vice-chancelier, président du Parti social-démocrate, ni le ministre des affaires étrangères allemand, n’aient participé, jeudi 2 juin, au vote historique du Bundestag condamnant le génocide arménien de 1915, en dit long sur l’embarras du gouvernement. Cela n’a pas empêché les députés d’adopter à main levée, à la quasi unanimité, la résolution portant sur la « commémoration du génocide des Arméniens et autres minorités chrétiennes dans les années 1915 et 1916 ».

Rédigée par Cem Özdemir, coprésident du groupe écologiste au Bundestag – et lui-même d’origine turque –, cette résolution était non seulement portée par les Verts mais également par l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et le Parti social-démocrate (SPD). Lors de la réunion de son groupe parlementaire, mardi 31 mai, Angela Merkel a d’ailleurs approuvé le texte. On peut notamment y lire que le Bundestag « déplore les actes commis par le gouvernement Jeunes-Turcs de l’époque, qui ont conduit à l’extermination quasi-totale des Arméniens ».

Ce qu’il faut savoir du génocide des Arméniens
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Le Bundestag regrette aussi « le rôle déplorable du Reich allemand qui, en tant que principal allié militaire de l’Empire ottoman (…) n’a rien entrepris pour arrêter ce crime contre l’humanité ». « L’empire allemand porte une part de responsabilité dans ces événements », est-il indiqué. Pendant la première guerre mondiale, l’Allemagne était alliée à l’empire ottoman. Sa connaissance des massacres, voire sa participation aux côtés de l’armée ottomane, apparaît peu à peu au grand jour.

537 associations turques ont écrit aux députés

En juin 1915, l’attaché naval allemand Hans Humann avait notamment écrit : « En raison de leur complot avec les Russes, les Arméniens sont plus ou moins exterminés. C’est dur mais nécessaire. » Les Arméniens estiment à 1,5 million le nombre de victimes de ce génocide reconnu par une vingtaine de pays dont la France. Ce rôle – longtemps sous-estimé – de Berlin dans le génocide explique en partie que l’Allemagne ait tardé à le reconnaître officiellement.

Mais aussi, dans un pays dont plusieurs millions d’habitants sont turcs ou d’origine turque, le sujet est politiquement sensible. 537 associations turques ont récemment écrit aux députés en leur demandant de ne pas approuver la résolution. Lors de l’ouverture du débat, le président du Bundestag, Norbert Lammert, a fait part de « menaces de mort » reçues par des députés, notamment issus de l’immigration. Il a évidemment jugé celles-ci « inacceptables ».

La troisième raison pour laquelle le texte est sensible est bien sûr la crise des réfugiés. Depuis octobre 2015, Angela Merkel a mis la Turquie au centre de la stratégie européenne pour tenter de limiter l’arrivée de réfugiés dans l’Union européenne. Ces efforts ont abouti à l’accord conclu en mars qui prévoit notamment le renvoi en Turquie des réfugiés se rendant en Grèce. La résolution des Verts aurait initialement dû être débattue en février. C’est sous la pression de la CDU et du SPD que la discussion a été reportée à juin. En contrepartie, la CDU a assuré aux Verts qu’elle l’approuverait.

« L’espoir » d’une réconciliation

Lors du débat, jeudi, plusieurs intervenants ont tenu à rappeler que « le gouvernement turc actuel n’est pas responsable du génocide ». Dans une tribune publiée dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung de jeudi, Volker Kauder, le président du groupe CDU-CSU au Bundestag, explique qu’« aucun reproche » n’est fait à la population turque mais que le Bundestag ne fait que « décrire un crime contre l’humanité » reconnu comme tel par les historiens. Il exprime « l’espoir que la Turquie et l’Arménie se réconcilient ». C’est aussi ce qu’a souhaité Cem Özdemir dans son discours au Bundestag.

Ces derniers jours, le président turc Erdogan a téléphoné à Angela Merkel, la mettant en garde contre les conséquences d’un tel vote sur les relations bilatérales. C’est une des raisons pour lesquelles le ministre des affaires étrangères, M. Steinmeier, est très réservé sur le texte. Néanmoins, Berlin semble espérer qu’au-delà de protestations formelles, la Turquie ne décidera pas des représailles concrètes contre l’Allemagne. Le pays est trop isolé sur la scène internationale et son nouveau premier ministre, Binali Yildririm, aurait comme objectif, selon le quotidien turc Hürriyet, d’avoir « plus d’amis et moins d’ennemis ».